Article publié sur NotQuant.com le 11 juin 2015 :
« Avec le recul, l’effondrement de Lehman Brothers en 2008 s’est déroulé à une vitesse surprenante. À la surface, quelques signes annonciateurs se déclarèrent mais la réelle étendue du désastre n’a fini par apparaître que dans les derniers instants, lorsqu’il était devenu évident que Lehman était condamné.
Afin de dresser le parallèle avec la Deutsche Bank, récapitulons les événements de 2007 et 2008 :
Malgré le peu d’indicateurs concernant le destin de Lehman, les initiés furent par contre au courant assez tôt : à la fin 2008 Goldman Sachs paria en son nom des montants énormes contre Lehman, une position qui fut appelée en interne « le gros short » (Big Short), un pari qui allait rapporter gros durant la crise.
À l’été 2007, les crédits subprimes commençaient à battre de l’aile sur les marchés. À partir du mois d’août, la liquidité commença à s’évaporer rapidement tandis que les fonds derrière les titres adossés à des créances s’asséchaient. Malgré tout, même jusqu’à la fin 2007, peu de gens suspectaient ce qui allait arriver à Lehman.
La première indication publique date probablement du 9 juin 2008, lorsque Fitch abaissa la note de Lehman à AA- avec perspective négative et ironie du sort à la même date jour pour jour ce fut l’abaissement de la note de Deutsche Bank par Standard & Poor’s en 2015, 7 ans plus tard. La « perspective négative » indique qu’une nouvelle baisse de la note est probable. Dans le cas de Lehman, ce fut un euphémisme.
À peine 3 mois plus tard dans le courant d’une seule semaine, Lehman annonçait une énorme perte de 3,9 milliards et déclarait faillite (entre le 10 et le 15 septembre). Le reste, vous le connaissez. (…)
Chronologie des difficultés de la Deutsche Bank
Voyons maintenant ce qu’il s’est passé avec la Deutsche Bank durant les 15 derniers mois :
- En avril 2014, Deutsche Bank est forcée de lever du capital de tiers 1 pour 1,5 milliard afin de renforcer son bilan. Pourquoi ?
- Un mois plus tard, en mai 2014, la recherche effrénée de liquidités continue alors que la DB annonce la vente d’actions pour 8 milliards de dollars, bradées de 30 %. De nouveau, pourquoi ? La nouvelle étonna les médias financiers. L’image de géant tranquille de la Deutsche Bank était écornée par ses efforts pressés pour trouver de l’argent frais. Quelque chose devait se tramer en coulisse.
- Mars 2015, la Deutsche Bank ne passe pas les stress tests, on lui demande de renfoncer sur-le-champ sa structure en capital.
- En avril, la Deutsche Bank confirme son accord de règlement à l’amiable avec les États-Unis et le Royaume-Uni concernant la manipulation du LIBOR. La banque se retrouve avec une amende énorme de 2,1 milliards à payer à la justice américaine.
- En mai, l’un des CEO de Deutsche Bank, Anshu Jain, reçoit de la part du Directoire de la banque des pouvoirs étendus ce qui ressemble furieusement à une décision de résolution de crise, le pouvoir exécutif étant souvent renforcé durant les périodes difficiles.
- Le 5 juin 2015, la Grèce ne rembourse pas le FMI. Le risque du défaut du pays sur sa dette est désormais élevé ce qui aurait d’énormes implications pour la DB.
- Week-end du 6 et 7 juin : les 2 CEO de Deutsche Bank annoncent à la surprise générale leur départ. Soit un mois seulement après que l’un d’entre eux ait reçu des « pouvoirs spéciaux ». Anshu Jain sera le premier à partir à la fin de ce mois de juin tandis que Jürgen Fitschen suivra en mai prochain.
- 9 juin 2015 : Standard & Poor’s abaisse la note de Deutsche Bank à BBB+ soit seulement 3 crans au-dessus de « junk » (actif pourri). Soit une note inférieure à celle accordée par Fitch à Lehman il y a 7 ans alors que la banque avait mordu la poussière à l’époque dans les 3 mois.
Voici ce que nous savons. Quelle est la gravité de la situation ? Nous l’ignorons car nous n’avons pas le droit de savoir. Mais ces nouvelles n’émanent pas d’une société saine.
Quelle est l’exposition de la Deutsche Bank ?
Le problème de la Deutsche Bank, c’est que son secteur bancaire conventionnel (agences) ne génère pas de bénéfice significatif. Pour conserver ses marges, elle a dû prendre plus de risques que ses pairs.
Deutsche Bank repose sur 75 trillions de dollars de paris sur les produits dérivés ce qui représente 20 fois le PIB allemand. La DB fait même mieux de 5 trillions que la JP Morgan.
Avec une telle exposition, des mouvements relativement limités peuvent engendrer des pertes catastrophiques. La Grèce est au bord du défaut, l’annonce de faillites n’est pas de l’ordre de l’impossible. (…) L’histoire ne se répète pas mais elle rime et sur les marchés, cela a tendance à se passer tous les 7 ans.