Fred Hickey, l’éditeur de la lettre d’investissement « The High-Tech Strategist », avertit qu’il y encore une bulle sur les marchés actions. L’investisseur chevronné a expliqué à la publication suisse TheMarket.ch pourquoi il évite les technologiques populaires comme Amazon pour parier plutôt sur les sociétés minières or.

Depuis le krach monstre de mars, les marchés actions se sont fortement calmés. Pourtant, les remous historiques sur le marché du pétrole de cette semaine ont fait réapparaître le spectre de la fragilité des marchés. Et ce, malgré les programmes massifs de stimulations fiscales et monétaires.

Selon Fred Hickey, il s’agit de la raison principale pour parier sur les métaux précieux. « L’or se porte bien durant les périodes de chaos et d’incertitude », explique le célèbre contrarien qui s’appuie sur une expérience de près de 4 décennies d’investissement dans les technologiques.

Selon lui, la plupart des valeurs technologiques restent massivement surévaluées. C’est notamment vrai pour les titres les plus spéculatifs tels que Tesla, Zoom Video ou Netflix. Il pointe également des vulnérabilités du côté des poids lourds du secteur tels qu’Apple, Facebook et Google.

Dans cette interview approfondie (note : nous n’avons pas traduit toutes les questions/réponses), Hickey explique pourquoi les opportunités d’investissement dans le secteur de l’or sont les meilleures. Il cite notamment Agnico Eagle Mines et Alamos Gold en tant qu’opportunités.

M. Hickey, depuis le plus bas de mars, les actions ont grimpé de 25 %. Que pensez-vous de ce redressement étonnamment rapide d’un point de vue de la valeur ?

Il faut remettre cela dans son contexte. Nous sommes dans une grande bulle alimentée par les actions de la Federal Reserve, comme ce fut le cas en 2000 et 2007. En raison de cela, les valorisations atteignirent des niveaux extrêmes. Sur base de certains indicateurs, comme le ratio cours/chiffre d’affaires, nous avons connu récemment les valorisations les plus élevées de l’histoire derrière celles de 2000. Les actions sont peut-être en baisse depuis le début de l’année, mais il ne faut pas oublier que nous avons connu une hausse record de 11 ans avant cela. Il suffit de regarder le ratio valeur de marché/PIB, qui serait l’indicateur préféré de Warren Buffett. Il est actuellement de 130 %. Nous n’avons qu’un autre précédent, c’était en 2000. Cela signifie qu’aujourd’hui, il y a toujours une bulle.

Et que pensez-vous des valeurs technologiques, votre zone d’expertise ?

La valeur du Nasdaq 100 n’a quasiment pas bougé sur base des 12 derniers mois. De nombreuses actions sont ridiculement surévaluées. Prenons Zoom, par exemple : elle a bien d’autres concurrents dans le domaine de la vidéoconférence, et elle a des problèmes, notamment de sécurité. Nous avons Tesla, qui est passé de 260 à 700 $ alors que son usine principale californienne est fermée, tout comme tous ses showrooms américains. Le marché automobile mondial s’est effondré, Tesla ne bénéficie même plus de crédits d’impôt. Comment un tel titre peut-il grimper ainsi ? Il s’agit d’un excellent test de la santé mentale du marché. Et, bien entendu, il est fou. La capitalisation boursière de Tesla est de 133 milliards. C’est 2 fois plus que Boeing. Pour une société qui ne gagne pas d’argent, c’est dingue.

Comment expliquez-vous toute cette folie ?

Nous avons rallumé la spéculation. Désormais, nous sommes dans un « printathlon ». En 2008, la FED a créé un trillion de dollars en 8 mois. Aujourd’hui, elle a créé 2 trillions en 6 semaines. La masse monétaire M2 a grimpé jusqu’à presque 17 trillions alors qu’on était à 14,5 trillions il y a un an. La plupart de cet argent créé se retrouve dans les actifs, comme ce fut le cas précédemment. Une partie a pris la direction des familles pour les aider, mais l’immense majorité de cette soupe de lettres que sont les acronymes des programmes lancés par la FED a pour objectif de soutenir tous les types de marchés. Cet argent prend la direction de titres « qui marchent » comme Tesla, Apple, Microsoft ou Amazon. C’est très malsain.

Et, à nouveau, les investisseurs évoquent 2020 comme une « année différente et isolée » pour se focaliser sur 2021.

Il s’agit d’une explication destinée à justifier des investissements massifs dans les mêmes noms surévalués. Nous sommes confrontés à la plus grosse récession depuis la Grande dépression. Le FMI affirme qu’il s’agit du plus gros ralentissement depuis les années 30. Comment les investisseurs peuvent-ils balayer cela ? On ne sait même pas combien de temps la crise du coronavirus va durer. On ne sait pas quand les entreprises vont pouvoir opérer normalement. Les sociétés de nombreux secteurs prendront du temps pour se relever, comme celles du secteur des voyages et du tourisme. Elles vont devoir procéder à de gros ajustements. Comment peut-on ignorer toutes ces incertitudes ?

2020 devait être la grande année du déploiement de la 5G. Quel est l’impact de cette technologie sur le secteur des semi-conducteurs ?

Après avoir été la locomotive du marché pendant de nombreuses années, le marché de la téléphonie mobile est tiède. Ils espéraient donc que la 5G et les promesses construites autour leur donnent un nouvel élan. Il y a eu un peu d’adoption l’année dernière, particulièrement Corée du Sud et en Chine. Mais même avant le coronavirus, la demande en Corée avait commencé à baisser de façon significative car il n’y a pas assez d’applications pour pousser les gens à adopter la 5G, et à payer davantage pour acheter les téléphones compatibles qui sont chers.

Aujourd’hui, les gens n’ont plus d’argent. Nous allons peut-être connaître une dépression. La population a besoin d’argent pour remplir son frigo et payer le loyer, un téléphone 5G n’est pas prioritaire. C’est dans les années 20 que des appareils révolutionnaires sont apparus, comme les radios, les téléviseurs, etc. Ces marchés ont pourtant ralenti durant la Grande dépression, et c’est ce qui va arriver à la 5G. C’était déjà trop tôt pour la démocratisation. Désormais, cela va être mis au placard.

Comment Google et Facebook se comportent-ils dans l’environnement actuel ?

En ce qui concerne les grands noms du secteur technologique, Facebook et Google sont en seconde ligne, derrière Apple, en termes d’exposition à la récession. Le problème est que la majorité de leurs revenus provient de la publicité, qui est une dépense discrétionnaire. On peut déjà voir dans les chiffres du secteur publicitaire que cela baisse. De plus, ces sociétés n’ont pas de narratif qui a été écrit pour les vendre, comme c’est le cas pour Microsoft et Amazon. Je pense donc qu’elles sont vulnérables. Mais si les banques centrales créent suffisamment d’argent, cela reste des titres qu’aiment les investisseurs. Elles ont une trésorerie saine. Même en cas de bénéfices en baisse, leur pérennité n’est absolument pas en danger.

Un environnement parfait pour l’or

Comment placez-vous votre argent dans un tel contexte ?

Il s’agit d’un environnement parfait pour l’or :

  1. Il y a une corrélation inversée forte entre l’or et les taux négatifs ;
  2. Les institutionnels possèdent moins de 1 % d’or dans leur portefeuille, alors que dans le passé ce ratio pouvait atteindre 5 à 7 %. Cela signifie que les investisseurs institutionnels vont devenir de gros acheteurs ;
  3. Nous sommes dans un environnement de création monétaire massive, d’énormes déficits. Il y a une corrélation inverse forte entre les déficits et l’or ;
  4. L’offre de métal jaune est mise sous pression par l’absence de découvertes importantes de gisements, par des filons dont le rendement ne cesse de baisser ;
  5. Il y a des pénuries d’or, comme nous avons pu le constater avec la déconnexion récente entre le cours de l’or spot et à terme.

Certes, certaines mines ont fermé, mais l’activité est en train de reprendre. Les sociétés minières vont donc pouvoir vendre leur or à bon prix. Ce qui va doper leurs dividendes.

Vous êtes surtout connu pour être l’un des meilleurs investisseurs dans les valeurs technologiques. Pourquoi avez-vous élargi vos horizons à l’or ?

L’or se porte bien durant les périodes de chaos et d’incertitude. Ce n’est pas le cas lorsque tout va bien, lorsque la croissance est forte, l’inflation est basse, le commerce mondial tourne et que tout le monde est heureux. Durant cette période, vous n’avez pas besoin d’avoir de l’or. Mais aujourd’hui, nous connaissons tout l’inverse. C’est le chaos, l’incertitude, on crée de la monnaie à tour de bras. À la fin des années 90, tout semblait parfait. Nous avions des excédents budgétaires, l’économie la plus florissante de l’histoire. Tout allait bien, et l’or a atteint un plus bas. Mais lorsque les choses ont tourné au vinaigre en 2000, le métal jaune a commencé à s’apprécier pour entrer dans un marché haussier séculaire. Soit lorsque la FED a commencé à devenir folle et à créer des bulles, l’une après l’autre. Je n’avais jamais possédé d’or avant la fin des années 90, lorsque j’ai commencé à m’inquiéter des actions de la FED. Je n’avais jamais pourtant imaginé que nous serions un jour dans la situation actuelle.

En ce qui concerne l’économie, le scénario de la déflation est très plausible à court terme. Quelles seraient les conséquences pour l’or ?

Les périodes déflationnistes sont habituellement chaotiques. Un environnement désordonné qui plaît à l’or. Nous avons connu dans le passé des périodes de déflation, certaines dans les années 1800, et bien entendu dans les années 30. Durant ces périodes, la valeur de l’or a bondi de 40 % en moyenne. Dans les années 30, Homestake Mining était la plus grosse société minière spécialisée dans l’or des États-Unis. Durant la chute de la Bourse entre 1929 et 1932, son cours a doublé. Tout au long de la Grande dépression, son cours fut multiplié par 5. D’autres titres, comme Dome Mines, firent encore mieux.

En cas de déflation, la demande pour les matières premières baisse. Pour de nombreuses sociétés minières, l’énergie est leur plus gros coût. Rien que cette année, le prix du pétrole a chuté de 80 %. Les sociétés minières achètent leur énergie future à ces prix fixes. Combinez la hausse du prix de l’or avec des coûts en baisse et vous obtenez des bénéfices monstres, de la trésorerie et des dividendes revus à la hausse. C’est ce qui s’est passé dans les années 30, Homestake Mining avait doublé son dividende.

Quels sont vos titres favoris ?

Newmont et Barrick font partie de mes plus grosses positions, mais je ne les achèterais pas aujourd’hui. J’achèterais ceux qui sont à la traîne, comme Agnico Eagle Mines, qui est en baisse de 2 % depuis le début de l’année alors qu’il s’agit de l’une des sociétés minières les mieux gérées du monde.

Les petites sociétés minières ont été les plus massacrées. L’ETF VanEck Vectors Junior Gold Miners est en baisse de 3 % depuis le début de l’année. C’est là que se trouve la valeur. Il y a notamment Alamos Gold, dont la plupart des mines sont au Canada, certaines au Mexique. Selon moi, la situation géographique des mines est importante. Dans un monde dans lequel la dette explose, les chances d’expropriation et de taxation sont beaucoup plus élevées. Certains pays seront tentés de mettre la main sur ces actifs miniers. Cela s’est notamment produit en Indonésie. Mais cela ne sera pas le cas de pays où les marchés libres existent et la loi est respectée, comme au Canada, aux États-Unis et en Australie. Dans le cas d’Alamos, l’action est très bon marché, inférieure à sa valeur comptable. L’entreprise n’a pas de dette, une trésorerie de 200 millions de dollars. Son dividende est faible, mais il est en augmentation et va continuer d’augmenter.