Il y a 2 ans, le nombre de chômeurs en Espagne, d’après les statistiques officielles, était de 5,5 millions, soit 23,2 % de la population active. Il s’agissait du second taux de chômage le plus élevé de l’Union européenne, bien pire que celui du troisième, la Hongrie (18,5 %), mais pas aussi terrible que celui de la Grèce (26 %).

À l’époque, des régions d’Espagne faisaient partie des 5 régions européennes les plus frappées par le chômage. L’Andalousie, avec son taux de 35 %, trônait en tête de ce classement. La Castille-La Manche occupait la cinquième place avec un taux de chômage de 29 %.

Désormais, après 2 années de trimestres consécutifs de croissance robuste du PIB et d’un boum touristique sans précédent, les choses ont l’air d’avoir changé. D’après les derniers chiffres, le chômage a baissé jusqu’à 17,2 % – ce qui reste un niveau de dépression, mais il n’est plus aussi apocalyptique. Pour la première fois depuis 2008, le nombre de chômeurs espagnols se situe en dessous de la barre des 4 millions. Les choses semblent s’améliorer même en Andalousie, où les cohortes de sans-emploi ont baissé de 160 800 chômeurs durant ces 12 derniers mois.

Ce sont des nouvelles qui sont les bienvenues dans un pays frappé par le chômage chronique, mais il y a cependant deux bémols : tout d’abord la population active espagnole ne cesse de baisser, ce qui contribue de façon importante à l’amélioration des chiffres du chômage ; deuxièmement, quasiment tous les nouveaux emplois créés sont précaires et mal rémunérés.

Où sont partis tous les travailleurs ?

Durant les 5 dernières années, la population active espagnole a perdu 760 000 citoyens actifs, soit des gens qui participaient au marché du travail, qu’ils occupent un poste ou qu’ils soient au chômage. Ces personnes qui ont quitté la population active sont soit devenues retraitées, soit ont quitté le pays à la recherche d’une vie meilleure ou bien ont tout simplement abandonné l’idée de trouver du travail.

La baisse de la population active espagnole est telle qu’elle est responsable d’un tiers de la baisse du taux de chômage entre 2012 et 2007, comme l’a rapporté le journal espagnol El Confidencial :

« En 2012, le chômage était de 24,5 % de la population active, alors que depuis le T2 de cette année il a chuté jusqu’à 17,2 %. De cette baisse de 7,3 %, 4,6 % émanent de la création d’emplois et les autres 2,7 % de l’effondrement de la population active. Autrement dit, un tiers de la baisse du chômage est imputable à la réduction du nombre de personnes actives sur le marché du travail. »

Le plus gros de cette tendance est imputable aux travailleurs espagnols les plus jeunes. Il y a 10 ans, la tranche d’âge des 24-29 ans fournissait le plus gros contingent de la population active, avec de nombreux jeunes employés dans la construction et l’immobilier avant l’explosion de la bulle ; aujourd’hui, cette tranche d’âge est en 7e position. De nombreux Espagnols de cette tranche ont préféré reprendre des études ou s’expatrier. Mais il est encore plus inquiétant de constater que la tranche d’âge des 30-39 ans a également perdu du terrain durant ces 5 dernières années vu que la raison la plus logique pour expliquer leur raréfaction dans les statistiques est qu’ils ont probablement abandonné leur recherche d’emploi.

Une précarité omniprésente

Le chômage a beau avoir baissé en Andalousie, les conditions y restent difficiles. D’après une nouvelle étude du Conseil des jeunes d’Andalousie, 8 des moins de 30 ans sur 10 qui ont trouvé un travail n’ont pas pu quitter le domicile parental. Ils ne gagnent tout simplement pas assez pour pouvoir payer un loyer et même si c’était le cas, leur mission est fort susceptible de ne pas durer suffisamment pour leur offrir un soupçon de sécurité financière.

C’est un problème fortement répandu dans toute l’Espagne. D’après le journal espagnol ABC, sur les 1,7 million de contrats de travail paraphés en décembre 2016, plus de 92 % consistaient en des emplois temporaires. En avril, 28 % des emplois fraîchement créés disposaient d’une durée contractuelle de moins d’une semaine. De tous ces nouveaux emplois, 43 % d’entre eux ont duré moins d’un mois.

Deux raisons principales expliquent cette tendance : tout d’abord, la majorité des emplois créés en Espagne le sont dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie, de la restauration et des cafés, qui sont fortement saisonniers. Deuxièmement, les contrats de travail espagnols ont une nature bipolaire.

Depuis la dictature de Franco, les travailleurs espagnols, qui sont nombreux à être dans la cinquantaine et dans la soixantaine, bénéficiaient de contrats à durée indéterminée à la fois extrêmement rigides et incroyablement généreux en cas de licenciement. Pour offrir de la flexibilité aux entreprises sans se mettre à dos les syndicats et les travailleurs, le gouvernement espagnol a libéralisé l’utilisation des contrats temporaires en 1984.

D’une durée de deux ans maximum (après quoi le travailleur doit être embauché à durée indéterminée ou quitter la société), ce type de contrat offre une protection très mince, des indemnités de licenciement misérables et habituellement un salaire très bas.

Au lendemain de la crise, la réforme du Code du travail espagnol a davantage facilité l’embauche et le licenciement. Ce qui a créé un marché du travail à deux vitesses qui encourage les employeurs à créer des postes précaires à court terme et qui les découragent à offrir des CDD, que ce soit aux jeunes ou aux autres.

Les choses ont tellement tourné au vinaigre que même la Banque d’Espagne, l’un des plus grands partisans des réformes du Code du travail du gouvernement, a averti de la menace que pose la baisse des salaires sur les efforts de la BCE pour générer de l’inflation dans la zone euro. Même si la santé macro-économique de l’Espagne s’améliore et que de nouveaux emplois sont créés, le nombre de personnes qui éprouvent des difficultés à nouer les deux bouts continue de grimper.

Pourtant, la nouvelle génération d’Espagnols au chômage, sous-employés, sous-payés ou complètement inactifs devra bientôt entretenir plus de 8 millions de retraités, qui vivent plus vieux que jamais et qui sont habitués à toucher une retraite de 906 € par mois, le second montant le plus élevé d’Europe en matière de pourcentage par rapport au dernier salaire derrière la Grèce. Alors que la plupart des jeunes travailleurs espagnols ne savent même pas s’assumer financièrement.

Article de Don Quijones, publié le 1er août 2017 sur WolfStreet.com