Tandis que les contrats à terme sur l’or ont franchi la barre des 1.800 $ pour la première fois depuis 2011, le Comex continue d’être sous pression. En effet, les investisseurs des futures sont de plus en plus nombreux à demander livraison du métal. La Bourse américaine avait déjà frôlé la catastrophe en mars en raison de « difficultés logistiques engendrées par les confinements » et la demande importante pour le métal jaune. D’après Craig Hemke de TF Metals Report, le Comex n’est pas encore sorti du bois (source) :

Les demandes de livraison de métal physique sur les contrats à terme du Comex se poursuivent. Cela a des conséquences importantes sur la pérennité de ce système de produits dérivés or à réserves fractionnaires.

Nous sommes désormais en été. Les contrats de juillet entrent dans leur phase de livraison. Les chiffres sont remarquables, car historiques, d’où l’importance d’aborder ces développements récents.

À la fin du mois de mars, le Comex fut à 2 doigts de ne pas pouvoir tenir ses engagements alors que la demande soudaine de livraisons d’or sur le marché spot engendrait d’énormes pertes pour les banques de lingots. Tout ceci a été expliqué en temps voulu, il est inutile de revenir là-dessus.

En raison de ces difficultés extrêmes, le CME et le LBMA se sont tournés dans la précipitation vers les marchés à terme du Comex afin de fournir un nouveau véhicule de livraison et de tenter de restaurer la légitimité d’une Bourse qui repose essentiellement sur le trading de produits dérivés.

Il ne faut pas perdre de vue que sans livraison physique, les marchés à terme matières premières n’ont aucune légitimité. Des livraisons physiques doivent avoir lieu au prix déterminé par les contrats à terme, sans quoi la découverte du prix via les futures ne peut être connectée à la réalité.

Fin mars, le CME et le LBMA ont proposé à la va-vite un nouveau contrat qui entend « livrer » des certificats de propriété sur des lingots de 400 onces stockés dans les coffres du LBMA à Londres sur base d’un système à réserves fractionnaires. De plus, le CME a publiquement encouragé l’utilisation des contrats du Comex pour livraison physique. Ce faisant, le CME a peut-être scellé son sort.

3 mois plus tard, il est clair que le CME a en effet ouvert une boîte de Pandore. Les banques de lingots qui fournissent le métal du Comex tentent désespérément de maintenir l’édifice debout.

L’or du Comex

Commençons avec l’or du Comex. Durant ces dernières années, et de mémoire, les livraisons mensuelles moyennes du Comex oscillait entre 6.000 et 10.000 contrats. Entre 2015 et 2019, le mois le plus actif déboucha sur la livraison pour 15.785 contrats. Le mois le moins actif fut en avril 2017, avec seulement 922 contrats livrés.

Voici les chiffres récents :

  • Livraisons d’avril 2020 : 31.166 contrats livrés ;
  • Demandes de livraisons de mai 2020 (mois de non-livraison) : 10.277 contrats ;
  • Livraison de juin 2020 : 55.102 contrats ;
  • Demandes du 1er pour le mois de juillet : 3.316 contrats.

Ces chiffres sont incroyablement élevés par rapport aux années précédentes. À titre d’exemple, en juin 2019 seulement 2.522 contrats furent livrés. Pour juin 2020, ces plus de 55.000 contrats correspondent à environ 171 tonnes d’or.

Il est intéressant de noter que la majorité de ces contrats de juin concerne les contrats du 20, soit le contrat à terme traditionnel du COMEX. Autrement dit, le nouveau contrat avec « livraison » à Londres est complètement ignoré. Seulement 8 contrats, sur plus de 55.000, ont choisi ce produit (baptisé « enhanced delivery »).

En bref, la crise de livraison que traverse le Comex ne s’éteint pas, au contraire. Il faudra suivre de près les demandes de livraison en juillet et en août.

Pas mieux pour l’argent

Mais il y a quelque chose d’encore plus intéressant, qui concerne l’argent. Habituellement, quand on ouvre une boîte de Pandore, on s’expose à des tas de conséquences inattendues. Vous vous rappelez à la fin du mois de mars, lorsque les gros titres parlaient des « problèmes logistiques » qui empêchaient le métal d’être au bon endroit au bon moment ? Cela ne concernait que l’or, il n’y avait pas de souci rapporté concernant l’argent.

Comme pour l’or, j’ai les statistiques de livraison d’argent au Comex depuis 2015. Les plus grosses livraisons de cette période furent en septembre 2019 avec 8.722 contrats livrés. Le plus petit moins fut en mars 2016 avec 1.356 contrats livrés. Durant cette période, la moyenne se situe entre 3.000 et 4.000 contrats. Si on exclut 2020, qui est une année spéciale.

Mai était un mois de livraison pour les contrats à terme argent du Comex. 9.044 contrats ont été livrés. Sans être un record historique, ce fut tout de même 2 fois plus que les livraisons habituelles.En revanche, juillet s’annonce explosif. Lorsque le contrat a clôturé le 29 juin, il y avait 16.834 contrats ouverts, souhaitant apparemment livraison. Non seulement cela représente 4 fois la moyenne historique mais cela correspond à 84,17 millions d’onces d’argent métal. Si les coffres du Comex sont censés contenir 320 millions d’onces d’argent, seulement 90,64 millions d’onces sont disponibles pour livraison immédiate. Si l’argent éligible peut être converti d’un clic de souris en argent livrable, les quantités demandées pour livraison représentent sans aucun doute un problème pour les banques de lingots.

Vont-elles réussir à honorer les livraisons pendant le mois de juillet ? Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Mais que va-t-il se passer en septembre ? Maintenant que la boîte de Pandore est ouverte, l’argent va-t-il imiter l’or pour afficher une augmentation constante des demandes de livraison sur les contrats à terme du Comex ? L’avenir nous le dira.

Ce qui est sûr, c’est que la CFTC continue d’ignorer les abus évidents qui ont lieu au Comex. Celui-ci définit des positions maximales que peut prendre chaque entité sur chaque contrat. À titre d’exemple, le premier jour des livraisons des contrats du 20 juillet pour l’argent, la JP Morgan avait émis/livrés 5.975 contrats, soit 2 fois plus que la limite 2020, fixée à 3.000 contrats.

On notera également que ces limites ont été récemment modifiées à la hausse. En ce qui concerne l’argent, la limite a été doublée de 1.500 à 3.000 contrats. Ce qui n’a pas empêché la JP Morgan de dépasser de près de 100 % cette limite, sans être inquiétée le moins du monde.

Que va-t-il se passer ?

Si ces éléments prouvent qu’il y a des tensions sur le Comex, il ne faut pas en conclure qu’il va s’effondrer dans les semaines à venir. Le poids de ces demandes de livraison pourrait déboucher sur un souci de type force majeure (impossibilité de livrer avec compensation en cash), mais c’est très peu probable que cela arrive ce mois ou le mois prochain. Les acteurs impliqués feront tout pour maintenir la barque à flot.