Lorsqu’une banque centrale baisse son taux directeur, c’est traditionnellement dans l’espoir de doper l’activité via le crédit. Cependant, les taux négatifs ont l’effet inverse, comme l’explique Satyajit Das dans cet article paru sur Bloomberg :
Les banques peuvent-elles survivre aux taux négatifs ?
La généralisation des politiques monétaires non conventionnelles menace de mettre en place un cercle vicieux dangereux et imprévisible.
La détérioration des perspectives économiques et les pressions politiques grandissantes poussent les banques centrales à adopter des politiques monétaires non conventionnelles plus agressives. Simultanément, des craintes de voir ces décisions, surtout les taux négatifs, menacer la stabilité du système financier apparaissent. Elles risquent d’engendrer un cercle vicieux dangereux sur les marchés du crédit et sur l’économie réelle. De plus, les effets secondaires sont difficiles à anticiper ou à contrôler.
Comme le montre l’expérience des banques centrales japonaises et européennes, le processus suit un calque prévisible.
Une basse croissance, une basse inflation, des écarts de production, le chômage et le sous-emploi – le tout combiné avec une instabilité financière, en particulier la volatilité des prix des actifs – poussent dans un premier temps les banques centrales à abaisser les taux en dessous de zéro. L’objectif est de doper la consommation et les investissements via le crédit afin d’engendrer un cycle de croissance durable.
Cependant, les taux négatifs ne sont pas totalement répercutés sur les taux qui s’appliquent aux crédits et à l’épargne. Les régulations imposent aux banques des dépôts minimums. La crainte de perdre des clients dissuade les banques de trop baisser le taux sur les dépôts. Jusqu’à présent, seules les grandes sociétés en Europe se voient appliquer des taux négatifs.
Alors que les profits des banques sont étranglés, elles doivent augmenter leurs frais ou trouver d’autres sources de revenus pour doper leur bénéfice. Cela signifie que le coût du crédit reste généralement élevé, ce qui va totalement à l’encontre de la politique des taux négatifs.
Alors que l’économie continue de bafouiller, les décideurs désespérés ne cessent de baisser les taux. Les rendements obligataires ne cessent de plonger en territoire négatif, la courbe des rendements s’aplatit. Les banques, qui détiennent des quantités substantielles d’obligations gouvernementales, voient leurs profits baisser encore plus.
Cela impacte le prix des actions bancaires, remet en question les dividendes futurs, les programmes de rachat d’actions et le rendement des capitaux investis. Les institutions les plus fragiles ont des problèmes à se financer. Quasi toutes les banques doivent faire face à un coût du crédit plus élevé.
De façon perverse, cela réduit la disponibilité du crédit, ce qui handicape la consommation et les investissements. Vu que les dividendes des banques constituent une source significative du revenu des investisseurs, la peur de les voir fondre ne fait qu’empirer la morosité ambiante. Au lieu de stimuler l’économie, les taux négatifs ne font que renforcer les incertitudes. Les ménages, inquiets pour leur épargne et leur retraite, dépensent moins.
Le ralentissement de la croissance augmente le nombre de crédits non performants. Ce qui érode davantage la profitabilité des banques et réduit le crédit disponible. Cela augmente également le coût du crédit pour les banques, ce qui est répercuté sur les emprunteurs.
Les taux négatifs faussent les règles du jeu. Face à des bénéfices en berne, les banques sont de plus en plus réticentes à saisir les biens des emprunteurs en difficulté. Elles gardent ainsi en vie des entreprises zombies, qui sont seulement capables de rembourser des mensualités lorsque les taux sont très bas, mais qui ne seront jamais en mesure de rembourser le capital emprunté. Il s’agit d’une utilisation inefficace du capital qui réduit le potentiel de croissance et établit les fondations d’une sous-performance économique à long terme.
Les banques en difficulté sont évidemment moins en mesure d’acheter des obligations gouvernementales, ce qui réduit la capacité des pays à trouver des entités pour les financer. Dans des cas extrêmes, lorsque les banques ont besoin d’aide pour ne pas couler, des gouvernements déjà lourdement endettés doivent emprunter pour les recapitaliser ou garantir les dépôts. Cette augmentation de la dette et de son service rend les taux négatifs ou bas structurellement indispensables.
Les effets pervers de cette tendance varieront dans un premier temps en fonction de la rentabilité actuelle des banques d’un pays, la qualité de leur portefeuille de crédits, de leurs marges sur les intérêts. Les banques européennes et japonaises qui ont des marges basses et des crédits non performants de plus en plus nombreux sont particulièrement vulnérables.
En bout de course, ces problèmes se propageront. Les banques américaines ont commencé à baisser leurs prévisions de bénéfices en blâmant les taux bas.
Il y a 2 canaux principaux de transmission des taux négatifs entre pays. Comme nous l’avons vu en Europe et au Japon, les banques qui font face à des taux négatifs exportent agressivement du capital, ce qui réduit les rendements à l’étranger. Ils ont un impact sur les taux de change, ce qui force les autres nations à suivre afin de garantir la compétitivité de leur économie.
Il y a peu d’alternatives. L’Allemagne envisage d’interdire l’application des taux négatifs aux comptes en banque des particuliers. Une autre alternative consiste à créer des actifs ou des comptes d’épargne spéciaux qui garantissent des taux positifs. Mais ces mesures ne feraient que miner les politiques des taux négatifs. (…)
La triste réalité est que la planète n’a toujours pas tiré les véritables leçons de 2008 : un modèle économique qui dépend de la consommation et des investissements alimentés par un crédit excessif n’est pas tenable. Les taux plus bas, qui sont inefficaces et affaiblissent le système financier et en bout de course l’économie réelle, sont en réalité un mécanisme visant à maintenir des niveaux de dette excessifs un peu plus longtemps.
Les décideurs ont loupé l’opportunité de faire des changements fondamentaux peu après la crise. Ils ne doivent pas être étonnés d’être désormais à la dérive.