À la fin du mois d’août, la FED a dévoilé sa nouvelle politique flexible de l’objectif d’inflation moyenne. Ce cadre manque de clarté. Par exemple, on ignore quel est le seuil de tolérance maximal, combien de temps elle pourrait tolérer une inflation supérieure à 2 %.

Mais il y a un autre problème qui se présente. Si on se base sur les choses que les Américains achètent (note : c’est également valable en Europe), les prix augmentent déjà. Sur bien des produits, nous sommes déjà au-delà des 2 % d’inflation.

Le Wall Street Journal a consacré un article au sujet. Il est intitulé : « L’inflation est déjà là – pour les choses que vous voulez acheter. » Son auteur, James Mackintosh, a écrit :

« Si vous avez l’impression que le prix des choses que vous achetez augmente, c’est parce que c’est le cas. Et ce malgré les banquiers centraux qui s’inquiètent des dangers de la déflation. » Dans son papier, l’auteur détaille « l’énorme différence » entre l’expérience au quotidien et l’inflation officielle annuelle qui s’élève à 1,3 %. Pourquoi ? Parce que « le prix des choses que nous achetons augmente rapidement, tandis que celui des choses dont nous n’avons plus besoin baisse, mais il est toujours pris en compte dans le calcul de l’inflation ».

C’est évidemment logique. S’il y a davantage de demandes pour un bien ou un service, son prix va augmenter, et vice versa. Et comme les statistiques le montrent, dans cette époque post-Covid centrée sur le télétravail, l’inflation annuelle sur certains produits est désormais bien supérieure à l’objectif de la FED.

Prenons par exemple les produits alimentaires que l’on consomme à la maison. Les Américains ont passé beaucoup plus de temps chez eux. Les prix alimentaires ont ainsi augmenté de 4,6 % en août par rapport à il y a un an. Il s’agit de la plus grosse augmentation en près d’une décennie. Dans les cafétérias désertées des entreprises et des écoles, les prix ont baissé de 3 %.

Si les prix de l’alimentation sont traditionnellement volatils, les mêmes tendances émergent sur des produits achetés par les personnes qui passent le plus clair de leur temps chez eux. Le télétravail élimine la demande pour les nouveaux costumes ou les tailleurs (en baisse de 17 %), pour le maquillage (en baisse de 3 %), pour les chambres d’hôtel (en baisse de 13 %) ou les billets d’avion (en baisse de 23 %).

En revanche, ces activités ont engendré une hausse de prix importante : rester à la maison dans un pyjama (le prix des pyjamas hommes est en hausse de 4 %), le vélo (en hausse de 6 %), la lecture (prix des livres et des journaux en hausse de 5 %), la couture (prix des machines à coudre et du tissu en hausse de 9 %). Les prix des soins de santé ont augmenté de 5 %.

Cette volatilité de l’inflation est due aux contraintes posées par le Covid sur les chaînes de production et logistique. Mais aussi par la fluctuation importante de la demande. Cette situation est exacerbée par la recrudescence des tensions entre la Chine et les États-Unis, les tendances à la démondialisation.

Cela dit, la plupart des économistes pensent que la déflation continuera de prendre le dessus dans les 12 à 24 mois à venir, notamment en raison des nombreux licenciements et des mesures de distanciation qui restent en place.

« À court terme, le choc de demande devrait prévaloir. Les prix devraient donc être stables dans les 12 à 18 mois à venir », a écrit Luigi Speranza, économiste en chef de BNP Paribas. D’autres sont plus inquiets à propos des effets secondaires déflationnistes des transformations économiques à venir. Notamment les vagues d’impayés et de défauts à venir dans l’immobilier commercial qui va déboucher sur une importante destruction de dette, et obliger de nombreux travailleurs du commerce de détail à se reconvertir.

Ces inquiétudes pourraient être dissipées si le Congrès s’accorde sur un nouveau plan de soutien économique. Si les consommateurs devaient bénéficier d’une nouvelle manne de 1,5-2 trillions de dollars, la hausse des prix de l’été pourrait se poursuivre pour devenir une véritable menace pour les investisseurs. Par contre, en cas de 3e vague de coronavirus, de nouvelles pertes d’emplois et l’aggravation de la récession pourraient impacter la demande, et donc faire pression sur les prix.

En bref, alors que l’on tente de prédire le futur, la réalité est implacable. Les prix des choses dont nous avons besoin augmentent. Cette hausse est compensée par la baisse des prix des choses… que l’on achète moins ou plus. Ce qui, d’après la FED, ne mérite pas d’être combattu, même si l’augmentation du coût de la vie est douloureuse pour le citoyen lambda.

Et pour compliquer encore plus la tâche de la FED, le Wage Tracker de Goldman Sachs, qui calcule les évolutions des salaires américains sur base hebdomadaire, vient d’enregistrer sa hausse la plus importante depuis 35 ans ! Tout ceci alors que la FED et la plupart des économistes s’attendaient à des salaires stagnants en raison des licenciements massifs.

Bien entendu, les versements d’argent public qui explosent et les expérimentations en termes de revenu universel en sont responsables en grande partie. On peut affirmer sans trop s’avancer que les Américains les plus pauvres vont continuer de bénéficier des largesses de leur gouvernement, peu importe le vainqueur de l’élection à venir. À moins que Trump ou Biden souhaite des émeutes quotidiennes. Par contre, il est important de souligner que la demande organique pour les travailleurs hautement qualifiés s’est relevée pour atteindre les niveaux d’avant le Covid.

Cette soudaine et inattendue hausse des salaires pourrait prendre la FED par surprise. Ce qui n’arrangerait rien à la situation décrite ci-dessus.

Pour conclure : si nous échappons à une récession en double dip ou à une contraction économique sévère, l’inflation pourrait déjà être 2 fois plus élevée que l’objectif de la FED. Ce qui lui laisse 3 options :

  • Elle relève ses taux avant 2023 ;
  • On révise les méthodes de calcul des salaires et des prix afin de les minimiser (demandez au Japon si ce n’est pas efficace, ce pays utilise 10 CPI différents) ;
  • La FED revoit sa définition de l’inflation moyenne en expliquant qu’elle ne bougera pas tant qu’elle n’atteint pas 3, 4, 5 %, voire plus

Ce qui est certain, c’est que cela risque de donner bien des maux de tête aux dirigeants de la Banque centrale américaine dans les mois à venir.

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