La Banque centrale européenne a abandonné sa vielle promesse : elle ne déliera plus les cordons de la bourse si les conditions se détériorent. Cette nouvelle signale le triomphe des faucons, menés par les Allemands, ainsi qu’un tournant dans le régime monétaire de la zone euro.

La fin qui approche de l’ère des QE va ôter le bouclier protecteur de l’Italie et des pays latins hautement endettés, ainsi que de nombreuses sociétés zombies qui ont été maintenues à flot grâce à cette assistance monétaire.

Mario Draghi, le président de la BCE, a réussi sa diversion visant à occulter ce changement de politique en brisant le devoir de réserve de la banque centrale lorsqu’il a attaqué l’administration Trump concernant les droits de douane sur l’acier.

« Les décisions unilatérales sont dangereuses. Si vous élevez des barrières douanières contre vos alliés, c’est à se demander qui sont vos ennemis », a-t-il déclaré.

La défense pieuse du système du commerce international de la BCE pourrait irriter Washington, vu que l’Europe a des barrières protectionnistes plus élevées que les États-Unis. L’excédent commercial actuel de la zone euro a atteint 485 milliards de dollars l’année dernière, soit 3,5 % du PIB, pour présenter aujourd’hui la plus grosse distorsion du système du commerce international.

Si une partie du surplus de la zone euro reflète le vieillissement de la population, la balance penche principalement en raison de politiques façonnées par une idéologie néomercantiliste qui refuse le changement.

Cela s’est empiré avec la contraction fiscale imposée à l’Europe du Sud durant la crise bancaire, qui a démoli la demande intérieure et qui a forcé l’Europe latine à se tourner vers les exportations pour retrouver le chemin de la viabilité. Peter Navarro, le conseiller de Trump sur le commerce, reproche à l’Europe de remettre les conséquences de ses propres pathologies sur le reste du monde.

Le changement de cap de la BCE équivaut à un resserrement de vis monétaire, même si la banque a admis qu’elle sera loin d’atteindre son objectif d’inflation de 2 % durant cette décennie.

Cela laisse très peu de marge de manœuvre à la zone euro durant le prochain revirement de cycle économique. Elle fait face au risque du piège de la déflation que connaît le Japon. « Ils vont se retrouver face à un problème lorsque le prochain choc se manifestera », a déclaré Lars Christensen, de Markets & Money Advisory.

La BCE a accumulé des obligations de la zone euro durant les 3 dernières années, masquant ainsi la véritable situation fiscale des états vulnérables. Cet « âge d’or » arrive à son terme. La disparition du bouclier de la BCE expose désormais l’Italie aux réalités du marché et ce, à un moment délicat, à savoir en pleine convulsion populiste suite au désaveu des élites pro-euro.

Les achats obligataires sont tombés à 30 milliards d’euros, après avoir connu un pic de 80 milliards par mois. Cette réduction a déjà eu des effets notables. Janus Henderson affirme que son indicateur clé de la croissance de la masse monétaire, M1 réel sur 6 mois, a atteint un plus bas depuis la grande récession. Cela augure un ralentissement économique marqué au cours de cette année.

Ces achats obligataires cesseront à la fin du mois de septembre. Si, en théorie, le QE peut être prolongé ou être symboliquement réduit jusqu’à décembre, la barre à franchir pour davantage d’assouplissement quantitatif est élevée. « Un choc majeur sera nécessaire pour que la BCE change d’avis », a déclaré Frederik Ducrozet de Pictet.

Il y a des raisons techniques à cela. Le bilan de la BCE atteindra 44 % du PIB d’ici l’automne, soit bien au-delà des niveaux jugés sûrs par la FED. Son ancien président Alan Greenspan a dit que la BCE a déjà navigué profondément dans des eaux dangereuses.

Il y aussi des raisons politiques. Les esprits s’échauffent en Allemagne. La colère gronde au Bundestag, où le parti anti-euro AfD préside le comité du budget, concernant les véritables motifs des politiques d’urgence menées si tard dans ce cycle économique. Les taux d’intérêts réels en Allemagne sont de -2,5 %, ce qui n’est pas sans rappeler Weimar.

Le Conseil des gouverneurs s’est quoi qu’il en soit lié pieds et poings lui-même en affirmant que davantage de QE pourrait ressembler au financement illégal de certains gouvernements. Cela place la BCE dans une position peu confortable en cas de procédures judiciaires.

La décision unanime de jeudi visant à abandonner le « biais de l’accommodation » est jusqu’à présent le signe le plus clair que les colombes doivent arrêter de tester la patience politique des banques centrales de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Slovaquie et des pays nordiques.

Alors que septembre approche à grands pas, tous ceux qui ont gardé la tête hors de l’eau grâce aux QE et aux politiques monétaires accommodantes pourraient faire l’objet de toutes les attentions. Barnaby Martin de Bank of America affirme que 9 % des entreprises européennes sont des morts-vivants dont la charge d’intérêts est supérieure aux bénéfices. Ces politiques ont engendré une mauvaise allocation systémique du capital qui risque aujourd’hui de prendre sa revanche. « Le support financier des entreprises zombies va disparaître. L’Europe pourrait connaître un bond de son taux de défaut », a-t-il déclaré.

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Le problème de l’Italie est que le QE a embelli son profil fiscal. Fabio Balboni de HSBC affirme que la BCE engloutit la moitié de l’offre brute d’obligations italiennes et ainsi réduit de 100 points de base le coût de la dette de Rome. (…)

Le pays doit faire rouler des obligations équivalant à environ 17 % de son PIB cette année, il s’agit de l’un des ratios les plus élevés de ce genre du monde. Difficile de savoir qui va acheter ces obligations. Les banques italiennes ont été vendeuses, utilisant le produit de ces ventes pour acheter des obligations allemandes et luxembourgeoises. Il s’agit d’une lente fuite des capitaux. Cela a propulsé les engagements TARGET2 de l’Italie dans le système interne de paiement de la BCE à un chiffre record de 444 milliards d’euros et ce, juste avant la victoire aux élections du Mouvement 5 Étoiles et de la Ligue du Nord. Des taux bien plus élevés pourraient être nécessaires pour séduire à nouveau les acheteurs.

La marge d’erreur de l’Italie est très étroite depuis que sa dette publique a grimpé à 132 % de son PIB, un niveau proche des limites acceptables pour un pays dénué de sa propre monnaie. Les tendances économiques après 2 décennies de dépression structurelle et d’hystérésis du monde du travail ne sont pas suffisantes pour se débarrasser de ce fardeau.

Les créances douteuses du système bancaire italien ont baissé à 15,3 % après le nettoyage des engagements d’UniCredit, mais cela reste beaucoup. Le secteur du crédit ne s’est pas encore relevé. Le sauvetage étatique de Monte Paschi est un puits sans fond. Banca Carige et Credito Valtellinese sont toujours en difficulté.

Monsieur Draghi a fait un effort héroïque afin de minimiser les conséquences de son resserrement de vis monétaire et de berner les marchés. Il a réussi à affaiblir l’euro, mais tout magicien a ses limites. La Bundesbank est à nouveau aux commandes.

Source : article d’Ambrose Evans-Pritchard, publié le 8 mars 2018 sur le site du Telegraph