Bon nombre d’investisseurs ont perdu beaucoup d’argent à l’occasion des convulsions récentes des marchés financiers. Mais on peut également en gagner beaucoup en pariant contre ces sociétés, comme les plus gros hedge funds du monde tels que Bridgewater l’ont montré la semaine dernière. Ce fonds a pris des positions short d’une valeur de 1,2 milliard d’euros, soit équivalant à 0,5 % de la valeur de toutes les actions de Banco Santander, BBVA, Telefónica et Iberdrola.

Le pari a déjà rapporté des dividendes. Le titre Iberdrola, la plus grosse société de gaz et d’électricité d’Espagne, Telefónica, un opérateur télécom en difficulté, et Santander, la plus grosse banque espagnole, ont clôturé la semaine en baisse d’environ 5 % tandis que BBVA a reculé de 4 %. Bridgewater a placé ses paris contre de grandes banques espagnoles la semaine dernière alors qu’elles présentaient des résultats annuels décevants. Depuis, les 2 titres ont perdu presque 10 % de leur valeur de marché.

Ces ventes à découvert font partie des positions short d’une valeur de 13,1 milliards de dollars du hedge fund prises contre 44 sociétés européennes, d’après les déclarations enregistrées auprès des régulateurs européens qui ont été rapportées par Bloomberg. Parmi les sociétés notables visées par ces positions short, on trouve Total, Airbus, BNP Paribas, ING, Intesa Sanpaolo, Eni, Sanofi et AXA.

Au début de la semaine, Ray Dalio, fondeur de Bridgewater Associates, a donné son opinion sur la correction récente des marchés en affirmant dans un article de blog publié sur LinkedIn qu’il s’agit « d’un mouvement typique de fin de cycle économique », ajoutant ensuite que « ces baisses importantes ne sont que des corrections mineures lorsqu’on les met en perspective avec le contexte global… il y a beaucoup de cash en réserve pour acheter en cas d’embellie, ce qu’il va advenir ensuite sera plus important ».

Les investisseurs vont néanmoins se demander pourquoi le plus gros hedge fund du monde est en train de shorter les 2 plus grandes banques espagnoles, dont les titres respectifs ont connu 18 mois de hausse soutenue. C’était cependant jusqu’à la semaine dernière. Conformément à son avertissement de décembre, 2018 pourrait être une année sous tension pour les banques espagnoles en vertu de ces 3 raisons :

De nouvelles règles douloureuses

L’introduction en janvier d’une nouvelle règle, connue sous le nom d’IFRS 9, oblige les banques européennes à constituer des provisions bien plus importantes pour les prêts douteux. L’une des conséquences directes est que les banques doivent détenir beaucoup plus de capital, ce qui est négatif pour leurs profits. BBVA estime que les banques espagnoles devront en conséquence augmenter leurs provisions de 21 %, soit d’environ 5,2 milliards d’euros, afin de satisfaire les nouvelles règles. Ce montant devrait être gérable pour l’ensemble du secteur, mais certaines institutions bancaires, notamment les plus modestes, risquent de souffrir plus que les autres.

Indigestion potentielle en raison de la reprise de Popular

Le déclin et la chute de la 6e banque espagnole, Banco Popular, ont fait office de piqûre de rappel (particulièrement douloureuse pour les 300 000 actionnaires de la banque) pour ceux qui pensent que les soucis du système bancaire espagnol ont été résolus, et ce malgré les dizaines de milliards d’euros qui ont été injectés. Désormais, l’attention est tournée vers Santander afin de voir comment elle sera en mesure de digérer la banque en faillite qu’elle a achetée pour un euro symbolique.

Exposition à des marchés à haut risque

Comme le FMI l’a averti dans un rapport publié l’année dernière, la plus grosse exposition internationale de BBVA en termes d’actifs financiers se concentre sur le Royaume-Uni, les États-Unis, le Brésil, le Mexique, la Turquie et le Chili. Au moins 4 de ces 6 marchés (Brésil, Mexique, Turquie et Royaume-Uni) risquent de faire face à des vents contraires en 2018. Aux États-Unis, la filiale américaine de Santander, Santander Consumer USA, est dangereusement exposée au secteur du crédit auto subprime, ce qui nuit déjà à sa profitabilité. Son exposition aux marchés des 2 grandes économies d’Amérique latine, le Mexique (40 % des profits de BBVA) et le Brésil (26 %), est tellement importante qu’en cas de détérioration de la situation dans ces pays, cela devrait avoir des conséquences quasi immédiates sur le système bancaire espagnol.

Mais une autre raison pourrait justifier le pari baissier de Bridgewater : la faiblesse systémique persistante de la périphérie de la zone euro.

Après tout, l’Espagne n’est pas la seule nation de la zone euro que Dalio a décidé de shorter massivement. Durant ces 3 derniers mois, son fonds a triplé ses paris baissiers contre l’Italie, 3e économie de la zone euro et sans l’ombre d’un doute son maillon le plus faible. 18 firmes italiennes sont ainsi entrées dans le collimateur de Bridgewater, dont Enel, Eni et Generali (…). Comme Telefónica et Iberdrola, Enel et Eni sont parmi les plus gros bénéficiaires du programme massif d’achats d’obligations corporate de la BCE, qui pourrait prendre terme dès septembre de cette année. Après cette échéance, le coût du financement de ces sociétés pourrait grimper fortement.

Mais la plupart des paris baissiers de Dalio en Italie ciblent son secteur financier encore fragile. Sa plus grosse positions short vise la seconde banque italienne en termes d’actifs, Intesa Sanpaolo, qui est pourtant largement considérée comme la banque la plus stable de la Botte. En fait, ce fut la seule banque du pays ayant l’envergure et les reins suffisamment solides pour pouvoir absorber les 2 petites banques vénitiennes malades Banca Popolare di Vicenza et Veneto Banca en juin 2017.

Sa banque gagnera la bataille, a déclaré avec confiance son PDG Carlo Messina à l’occasion d’une interview accordée jeudi dernier à Bloomberg. Durant ces 3 derniers jours, le titre a perdu 4 % de sa valeur, mais il reste en hausse de 45 % par rapport à il y a 12 mois.

« Lorsque j’ai parlé avec Dalio en octobre, il shortait Intesa Saopaolo et l’Italie, » a déclaré Messina au cours de l’interview. « Je lui ai dit qu’il pourrait perdre de l’argent, et je pense que c’est ce qu’il s’est produit. S’il augmente sa position, je pense qu’il en perdra encore. »

Quel que soit le vainqueur de ce bras de fer financier, les enjeux sont importants. Même pour une société comme Bridgewater, qui gère pour environ 122 milliards de dollars d’actifs, une position short de 13 milliards de dollars concentrée sur l’Europe est un pari risqué. Pour la zone euro, la stabilité financière de ses troisièmes et quatrièmes économies, qui restent fort fragiles, n’a vraiment pas de prix.

Article de Don Quijones, publié le 10 février 2018 sur WolfStreet.com