Les premiers effets concrets de la hausse des taux américains commencent à se faire sentir sur le marché obligataire. D’après des poids lourds du secteur, comme Bill Gross, le marché haussier séculaire des obligations est officiellement terminé. Ce qui n’augure rien de bon alors que nous sommes globalement plus endettés que jamais et que la confiance des investisseurs rappelle de funestes épisodes de l’histoire financière moderne, comme 1987 et 2000.

Voici ce que dit en substance cet article d’Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph, publié le 10 janvier 2018. Il ne mentionne pas l’or, qui poursuit lentement mais sûrement sa hausse. On ne va pas vous prédire un krach financier pour 2018. Mais ce qui est certain, c’est que l’on se rapproche de plus en plus de cette échéance inéluctable :

« Tous les super cycles obligataires des 2 derniers siècles se sont étalés sur une carrière. Il s’agit de forces très puissantes. Mais quand le cycle s’inverse, le système économique mondial ne connaît rien d’autre qu’un changement de régime.

«L’âge de glace» actuel, pour emprunter le terme utilisé par Albert Edwards de Société Générale, a démarré en 1980 lorsque la FED provoqua un choc monétaire violent pour gagner la bataille contre la Grande Inflation.

Le taux de référence américain n’a cessé de baisser depuis, poussé encore plus bas par les forces déflationnistes d’Internet ainsi que les énormes afflux de ressources de main-d’œuvre bon marché dans les années 90 suite à l’intégration de la Chine et de l’Europe de l’Est dans l’économie mondiale.

Il s’agit du seul environnement que la plupart des investisseurs, des traders et des docteurs en économie connaissent. Et si les chartistes ont raison – ignorez-les à vos risques et périls – la tendance baissière est enfin cassée. Les taux des obligations américaines à travers le spectre des échéances sont en train de transpercer les niveaux de résistance, avec des effets considérables et instantanés sur le marché mondial obligataire de 49 trillions, et par ricochet sur le crédit bancaire.

Louise Yamada, l’analyste technique très écoutée par Wall Street, (…) m’a dit : «L’obligation américaine sur 2 ans est le canari dans la mine. Il est légitime de dire que le marché haussier obligataire de ces 36 dernières années est terminé.»

Son conseil aux lecteurs du Telegraph est de sortir de toute obligation dont la maturité est supérieure à 2 ans. Toute échéance plus longue débouchera sur une érosion du capital. Ceux qui les conserveront, ou qui sont poussés de force vers les obligations par leur caisse de retraite, seront les victimes d’une érosion continue de leur capital.

Mme Yamada affirme qu’une augmentation du taux des obligations américaines sur 10 ans jusqu’à 3 % fera office de confirmation finale. C’est clairement en vue alors que le taux de référence du système international vient de s’affranchir à la hausse de ses écarts d’échange pour s’approcher de son plus haut de 3 ans de 2,6 %. «Le marché baissier obligataire est confirmé», a tweeté Bill Gross, le spécialiste de la dette de Janus Henderson.

Jusqu’à présent, les investisseurs obligataires ont notoirement refusé de valider la reprise économique, préférant suivre à la lettre leur scénario de la déflation, désireux de parier sur le fait que les faucons de la FED seront à nouveau dépassés par la mondialisation et le commerce en ligne.

Le fait que la Banque du Japon, l’éternel multirécidiviste du QE, a réduit ses achats obligataires est le facteur qui a changé subitement l’humeur ambiante. Elle fait un pas en arrière dans la plus grande expérience monétaire de l’histoire. Mais il y a plus étonnant encore : le spectacle d’une économie japonaise qui est littéralement en plein boum.

Nous avons dépassé depuis longtemps le pic des injections de liquidités des banques centrales. La FED a démarré son «resserrement quantitatif», d’ici la fin de l’année elle va accélérer ses ventes d’obligations, qui atteindront la somme de 50 milliards de dollars. La BCE a réduit de moitié ses achats, à 30 milliards d’euros, durant ce mois de janvier. Elle pourrait totalement se retirer d’ici septembre.

Les marchés devront absorber une offre supplémentaire d’un trillion de dette en 2018. Cela n’explique qu’à moitié la hausse des taux obligataires : l’autre explication est à chercher du côté des investisseurs, qui se soucient de moins en moins de l’inflation même s’ils sont toujours réticents à capituler sur le scénario plus significatif d’une relance durable. (…)

Donald Trump et le Congrès rajoutent de l’huile sur le feu avec ce blitz fiscal en fin de cycle économique. Les économistes de Standard & Poor’s estiment que la réforme fiscale correspond à une stimulation de 0,8 % du PIB pour cette année, et la prochaine. Willem Buiter de Citigroup estime que ce coup de pouce pourrait être encore supérieur lorsque les dépenses électoralistes promises durant la campagne seront incluses, ce qui devrait pousser le déficit annuel américain à 5,5 %. De quoi faire passer la débauche péroniste pour de la petite bière.

On peut faire une comparaison grossière avec l’année folle de 1987, lorsque Wall Street grimpa jusqu’à des niveaux indécents malgré les signaux d’alarme lancés par le marché obligataire. «L’économie allait de mieux en mieux. L’indice manufacturier était supérieur à 60, comme c’est presque le cas actuellement, et pourtant le marché s’est effondré», a déclaré Albert Edwards. (…)

L’indicateur «Bull/Bear» des conseillers financiers est actuellement aux mêmes niveaux euphoriques que ceux d’octobre 1987. Il est plus élevé qu’au pic de la bulle Internet, ce qui fait froid dans le dos. Le gourou des actions de Société Générale Andrew Lapthorne affirme que les entreprises américaines affichent un déficit global annuel de 250 milliards, et qu’elles ne sont désormais plus en mesure d’utiliser l’effet de levier de la dette pour financer leurs opérations de rachats d’actions.

L’édifice tiendra debout tant que le coût du crédit restera cloué au ras des pâquerettes, un argument développé en avril dernier par le FMI. Il affirme que 20 % des sociétés américaines risquent la faillite lorsque le cycle des taux s’inversera. Les entreprises les plus à risque sont celles de la moitié inférieure de l’indice Russell 2000. Ces sociétés dépensent déjà 30 % de leur bénéfice avant impôts au service de leur dette. « C’est de là que la prochaine crise émergera », affirme M. Lapthorne.

Évaluer le timing est difficile. Selon Louise Yamada, la règle de base est que les actions les plus faibles commencent à tanguer avant que l’on assiste à une déroute générale. En termes techniques, la situation se détériore de 4 à 6 mois avant la correction globale. C’est ainsi que cela a eu lieu en 1987, ainsi qu’avant l’éclatement de la bulle Internet en 2000. «Mais nous ne voyons rien de comparable aujourd’hui», a-t-elle déclaré. En l’absence de choc géopolitique, le marché haussier pourrait très bien se poursuivre jusqu’au début de l’été, voire au-delà.

Une autre règle de base dit que les marchés actions peuvent prospérer tant que l’obligation américaine sur 10 ans n’a pas atteint 5 %. Jeff Gundlach, de DoubleLine Capital, prédit 6 % en 2021. (…)

Mais ces règles semblent obsolètes. Personne ne sait quelle est la limite d’un système financier mondial qui affiche une dette record de 332 % du PIB, soit 56 % de plus depuis la bulle Lehman, sans parler de l’hypersensibilité sans précédent des émergents aux politiques monétaires américaines en raison des nombreux crédits libellés en dollars.

Sans parler du fait que personne ne sait quel est le point de rupture d’un monde qui est pris au piège par 25 années de politiques idéologiques des banques centrales, qui ont poussé à la baisse les taux à des niveaux jamais vus. Nous naviguons en plein brouillard.

Mon petit doigt me dit que les ennuis vont commencer lorsque les obligations américaines sur 10 ans atteindront les 3,5 %. (…) »

Source : article d’Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph, publié le 10 janvier 2018