Dernier épisode de la guerre contre l’argent liquide, la proposition de nomination de Marvin Goodfriend à la FED. Cet adversaire affiché des espèces est très apprécié de Ken Rogoff, c’est tout dire. Si sa nomination est validée par le Sénat, un apôtre de l’argent électronique fera son entrée au Conseil des gouverneurs de la FED. Goodfriend affirme également que le recours aux taux négatifs sera inéluctable « pour contrer la prochaine crise financière inévitable ». Voilà le programme corsé de la traduction de cet article de Peter Coy, publié sur Bloomberg Businessweek le 5 décembre :
L’économiste Marvin Goodfriend n’aime pas les morceaux de papier qui se trouvent dans votre portefeuille, les « billets de la Réserve fédérale » aux États-Unis. Son opinion compte, parce que le président Trump vient de le nommer au Conseil des gouverneurs de la FED.
Si son mandat de 14 ans est confirmé par le Sénat, Goodfriend (note : « Bonami », en français…) pourrait saisir l’opportunité pour poursuivre ses ambitions académiques d’abolir, ou au minimum de rendre secondaire, le liquide.
L’aversion de Goodfriend pour les espèces pourrait être problématique à l’occasion de son audition devant le Sénat, qui n’est pas encore programmée. Les Sénateurs pourraient bientôt avoir des nouvelles de leurs électeurs qui craignent que la disparition de l’argent liquide ne soit une première étape vers un état socialiste ou totalitaire. Ces voix se font déjà entendre : « Marvin Goodfriend est-il le pire candidat de l’histoire à être proposé à la FED ? », se demande un article du 1er décembre du site du Mises Institute, un think tank de l’école autrichienne d’économie. Un billet précédent du même site parlait déjà de Goodfriend : « Vu sa vision radicale des politiques monétaires, ce n’est pas une hyperbole de suggérer que la nomination de Goodfriend représente un réel danger pour la santé économique de tout citoyen américain, du moins pour ceux qui ne font pas partie du secteur des services financiers. »
Il n’y a pas que les gens du Mises Institute qui tiennent à l’argent liquide. « Les espèces sont synonymes de liberté, c’est pourquoi de nombreux politiciens les détestent » : voici le titre d’un billet du Reason Institute libertarien de l’année dernière. L’année dernière, le commentateur financier James Grant a attaqué dans le Wall Street Journal un livre intitulé La malédiction du liquide (The curse of cash), du professeur de Harvard Kenneth Rogoff, en accusant : « L’auteur souhaite que le gouvernement contrôle votre argent. C’est aussi simple que cela. »
Goodfriend craint que l’existence du cash complique la tâche de la FED si elle doit baisser ses taux en dessous de zéro. Durant la prochaine crise, la FED pourrait vouloir pousser les taux en territoire négatif afin d’encourager les gens à faire quelque chose de leur argent au lieu de l’immobiliser, ce qui pourrait générer de la croissance. Mais, aujourd’hui, ce ne serait pas possible de les baisser significativement en dessous de zéro car une telle décision de la FED pousserait les Américains à simplement retirer leur argent des banques pour les mettre dans un coffre ou sous leur matelas. La BCE et la BNS n’ont pu baisser leur taux que légèrement en dessous de zéro.
Le candidat de Trump n’a pas fait de mystères quant à ses opinions sur ce sujet controversé. Bien au contraire. En 2016, Goodfriend a présenté un papier à Jackson Hole, la grand-messe des banquiers centraux. Son titre : « Comment faciliter les taux négatifs ».
Afin de compliquer la tâche des citoyens qui souhaitent accumuler du liquide, il suggère dans son papier que le gouvernement supprime petit à petit les grosses coupures, ou impose des frais à chaque fois que de l’argent est déposé ou retiré des banques. Mais même ces mesures pourraient être insuffisantes pour supprimer l’utilisation des espèces, ajoute Goodfriend. Il propose donc 3 autres mesures plus fortes.
- La première est simple : l’abolition pure et simple de l’argent papier. Ce qui signifie que pour réaliser tout achat, vous devriez utiliser un compte en banque. La FED pourrait pousser les banques à imposer des taux négatifs sur les dépôts, si bien que vous auriez tout intérêt à le dépenser pour ne pas le perdre.
- Seconde option : mettre un terme à l’égalité entre la valeur d’un billet d’un dollar et la valeur d’un dollar déposé à la banque. En cas de taux négatifs de 10 %, cela signifie qu’un billet d’un dollar ne vaudrait plus que 90 cents.
- 3e option : des cartes spéciales, similaires aux cartes de crédit, qui seraient émises par la FED. La valeur serait contrôlée par la FED de façon électronique.
Goodfriend estime dans son papier que « les citoyens devraient probablement embrasser l’argent électronique en tant qu’alternative acceptable à l’argent papier ». Sa crainte principale est qu’ « une devise purement électronique exige des investissements dans les banques, la banque centrale et l’infrastructure de paiement avant d’être implémenté ».
J’ai demandé à Rogoff, l’auteur du livre cité ci-dessus, ce qu’il pense de la nomination de Goodfriend. Il m’a répondu : « Dieu merci il y aura quelqu’un à la FED qui réalise que le monde doit commencer à réfléchir à la façon dont les banques centrales réagiront à la prochaine et inévitable crise financière sérieuse. Les taux négatifs sont, et de loin, la meilleure idée ; espérons que nous ne devrons pas y recourir dans un futur proche. Je pense néanmoins que d’ici 10 ans, toutes les banques centrales majeures et les gouvernements devront bâtir les fondations pour pouvoir mettre en place de façon efficace des taux négatifs, en cas de récession ou de crise financière aiguë. »
Goodfriend est-il en avance sur son temps ? Le Sénat risque d’avoir quelques questions.