Ambrose Evans-Pritchard, dans son dernier article publié dans le Telegraph, explique à ses compatriotes pourquoi la soi-disant facture du Brexit ne sera pas si chère à payer au vu des problèmes qui attendent l’Union européenne. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le vétéran du journalisme économique britannique n’est pas très optimiste quant à son futur (extraits) :

« (…) Tandis que le Trésor se lance dans des spéculations brutes concernant l’avenir de la Grande-Bretagne dans les années 2030, permettez-moi de me lancer moi-même dans des spéculations brutes concernant l’Union européenne.

Soit l’UE aura implosé d’ici là, soit elle se sera indubitablement muée en une construction autoritaire césaropapiste telle qu’elle ne bénéficiera plus de la loyauté émotionnelle des gens de gauche du monde développé. Quoi qu’il en soit, elle ne peut prospérer en l’état, donc il est tout à fait plausible que la Grande-Bretagne, en s’en séparant plus tôt, soit capable d’afficher une croissance supérieure de 8 % par rapport à l’entreprise européenne qui s’enfonce dans le statu quo.

La zone euro connaît actuellement une reprise cyclique portée par les taux négatifs, des injections démesurées de liquidités, la fin de l’austérité fiscale ainsi qu’un effet de rattrapage sur la longue récession que nous avons connue, qui fut plus marquée que celle des années 30 pour le sud de l’Europe, l’Irlande et la Finlande, un fait souvent oublié.

L’Allemagne a permis à la BCE d’agir en tant que prêteur de la dernière chance durant l’été 2012, lorsque la contagion à l’Italie et à l’Espagne a presque détruit l’Union européenne. C’est très important, mais cela n’empêche pas l’euro d’être une devise orpheline, sans union fiscale ou véritable union bancaire pour la soutenir. Le gouffre compétitif nord-sud ne s’est toujours pas rétréci.

PIB réel projections

La prochaine récession, probablement en 2019, sera douloureuse pour tout le monde vu que nous avons déjà utilisé toutes nos munitions monétaires et fiscales, ainsi qu’épuisé le consentement populaire en faveur de la mondialisation. Je devine que les pays qui disposent d’une cohésion patriotique forte et des institutions qui ont fait leurs preuves sont les mieux positionnés pour survivre à cette épreuve du feu.

La zone euro est très fragile sur ce terrain. Elle patine sur une très fine pellicule de glace, sans aucun système de mutualisation des obligations souveraines. Les ratios de dette sont bien plus élevés qu’en 2008, avant la crise Lehman : plus 31 % pour l’Italie, plus 60 % pour l’Espagne, plus 54 % pour le Portugal et plus 29 % pour la France.

Le temps pour reconstituer des tampons économiques et sociaux manque pour ces pays, alors que cette reprise a une date de péremption. Il est plutôt inconcevable de croire que l’Europe latine acceptera un second round d’austérité imposé par l’Allemagne sans perte de contrôle totale de l’appareil politique. Les Italiens diront de concert « va fanculo » (sic). Les Français pourraient propager plus ou moins le même message.

D’ici septembre, le bilan de la BCE atteindra 44 % du PIB sans avoir réussi à éloigner la zone euro du piège de la basse inflation. À l’occasion de la prochaine récession, le bloc risque d’être propulsé en déflation. Des assouplissements quantitatifs additionnels auraient alors des dangers politiques vu que le parti anti-euro Alternative fur Deutschland va bientôt devenir l’opposition officielle au Bundestag. L’AFD préside actuellement le Comité du Budget.

Sur une autre ligne de clivage politique, une grande partie de l’Europe centrale se révolte. La Hongrie et la Pologne ont toutes les 2 répudié l’idéologie judiciaire occidentale et ont de facto quitté l’Union européenne tout en conservant certains privilèges du club. Les Tchèques ont élu un milliardaire eurosceptique, Andrej Babis, qui s’élève contre les diktats franco-allemands. « Nous ne pouvons pas être dans une position dans laquelle nous n’avons rien à dire, dans laquelle de grands pays et la Commission décident de tout », a-t-il déclaré cette semaine.

Mr Babis n’est pas le seul. Interrogé à Davos sur la résurgence de l’axe franco-allemand, l’Irlandais Leo Varadkar a lancé un avertissement contre le retour d’une Europe des grandes puissances, qui s’assoiraient autour d’une table de Versailles pour dicter leurs conditions aux autres pays. Le Brexit met en lumière ces tensions en altérant l’équilibre politique de l’UE. De nombreux États comptaient sur la Grande-Bretagne pour promouvoir les marchés libres et contrer les velléités agressives d’intégration.

Si elles ne faisaient pas autant la sourde oreille, les élites françaises et allemandes auraient pris en compte l’avertissement du Brexit, ainsi que leurs propres remous internes. Elles auraient fait un pas en arrière. Au lieu de cela, elles ont profité du Brexit pour accélérer l’agenda « plus d’Europe ».

On pourrait dire que l’Union européenne est prise dans un équilibre instable, et qu’elle doit donc obéir à la logique horrible de l’union monétaire, à l’accélération de l’intégration. Mais elle plante les graines de son échec futur. Il n’y a aucun consentement populaire pour consolider les pays européens en une construction supranationale. Les tentatives en ce sens déboucheront sur un retour de bâton explosif, c’est garanti. (…) »