En 1976, la créatrice de Fifi Brindacier, Astrid Lindgren, fut taxée à 102 % par le gouvernement suédois. Elle répliqua en publiant un conte satirique, Pomperissa. Son histoire eut tellement d’impact sur la population qu’il coûta l’année suivante les élections au parti social-démocrate au pouvoir depuis 44 ans.

Si je parle de cette histoire, c’est parce que son thème ne concernait pas uniquement la rage taxatoire du gouvernement suédois. Mais aussi sa capacité à décider de tout. Dans le livre, le personnage s’exclame « 102 %, mais c’est impossible ». Je pense que la leçon que l’on peut tirer de ces 2 derniers mois, c’est qu’absolument tout est désormais possible.

Durant cette période, nous avons assisté à/au :

  • La fin de l’austérité ;
  • La fin de l’indépendance des banques centrales ;
  • Le début d’un QE infini partout dans le monde ;
  • L’explosion du bilan de la FED pour renflouer Wall Street et la dette corporate risquée, mais aussi Main Street ;
  • La fin des règles budgétaires européennes ;
  • L’utilisation de la théorie monétaire moderne ;
  • L’introduction par des moyens détournés du revenu universel.

La FED est l’acteur mondial le plus agressif en la matière. Son président Jerome Powell a ouvert des lignes de swap avec de nombreuses banques centrales. Et dans ses décisions les plus créatives, il a bafoué le Federal Reserve Act en touchant au fonds commun de créances (SPV en anglais) afin de sauver tout le monde.

Cette volonté de sauver tout le monde nous place dans une position très risquée. Non seulement nous avons dû abandonner la découverte des prix, mais aussi l’économie de marché. Cette opération de renflouement signifie que les patrons des compagnies aériennes, qui n’ont pas un sou mais qui ont pourtant dépensé des centaines de millions de dollars pour racheter leurs propres actions, sont sauvés. Et que dire d’IBM, qui a dépensé 157 milliards durant les 10 dernières années pour racheter ses propres actions alors que sa capitalisation boursière est aujourd’hui de 102 milliards. On peut définir le contexte actuel par un autre conte d’un auteur scandinave, le Danois Andersen, et son célèbre Les habits neufs de l’Empereur, pour prendre pleinement la mesure de ce qui se passe.

Les mesures de soutien infinies sous toutes les formes imaginables signifient que nous sommes confrontés à des choses auparavant impossibles :

  • Taux d’intérêt négatifs ;
  • Être payé pour prendre un crédit ;
  • Cours du pétrole négatifs.

Je pourrais expliquer pourquoi on n’en est arrivé là, mais la tâche est trop ardue, tout simplement car c’est complètement absurde.

Il est cependant clair que les taux et les prix du pétrole négatifs sont le résultat de Pomperissa, à savoir de l’interventionnisme exacerbé des gouvernements et des banques centrales. Les gouvernements ont remplacé les marchés lorsqu’il s’agit de définir les prix, donc l’offre et la demande. Le pétrole est devenu trop bon marché, et même temporairement négatif, en raison des largesses accordées aux producteurs de pétrole (subsides et argent facile). Ce support a permis à des opérateurs de produire du pétrole malgré leur incapacité à dégager des bénéfices, même lorsque les prix étaient bien plus élevés. (…) Pire encore, nous avons de telles sociétés qui opèrent dans tous les secteurs de l’économie. Et c’est surtout le cas dans les secteurs qui occupent beaucoup de travailleurs, qui pèsent lourd en termes d’investissements et d’importance stratégique. Bienvenue dans le monde de Pomperissa !

Autopsie des années 70

Les années 70 ont démarré avec un gouvernement et un dollar fort. Le billet vert s’est affaibli durant toute la décennie. Une inflation élevée et un chômage important se sont matérialisés après la fin de l’adossement du dollar à l’or (1971). Cette décennie fut marquée par le terrorisme et les contraintes d’approvisionnement. Au niveau géopolitique, la planète a connu l’élargissement de l’Union européenne, l’ouverture de la Chine. Pour la première fois, l’environnement devenait un sujet politique.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Selon moi, nous avons tourné en rond pendant 50 ans pour ne rien apprendre. Le premier jour de la planète a eu lieu il y a 50 ans jour pour jour. Les problèmes environnementaux n’ont pourtant jamais été aussi importants. La Chine risque d’être isolée. Le dollar est très fort, il reste la monnaie de réserve mondiale alors qu’il faut s’en éloigner vu que la FED et le gouvernement ont décidé de sauver tout le monde avec de la dette. L’Union européenne risque de perdre des membres (qui sera le premier, la Hongrie, l’Italie ?).

L’inflation est toujours à la traîne malgré des tentatives désespérées d’atteindre les 2 %. Cela dit, elle va faire son grand retour, avec fracas, dans environ 2 ans en raison de la destruction de capital engendrée par la crise et les dépenses infinies des gouvernements. Le chômage a atteint 20 % ou plus aux États-Unis. Ce chiffre finira par baisser, mais les plus de 100 millions de ménages américains ont été impactés par ce « contretemps » à des degrés divers. Les programmes de type revenu universel font en quelque sorte office de la hausse des salaires dictée par les syndicats d’antan. En bref, bienvenue à nouveau dans les années 70.

Ce qui est inquiétant, c’est que cette période coïncide avec les dernières grandes vagues de défauts souverains. Aujourd’hui, seul l’Équateur a fait défaut. Des nations africaines ont reçu une période de grâce de 8 mois. L’Argentine a décrété son propre moratoire, sans demander l’avis de ses créanciers. Au Moyen-Orient, l’Oman et le Bahreïn n’ont plus accès aux marchés obligataires. Leurs CDS sont en train d’exploser (assurance contre le défaut).

Pour bien saisir les conséquences de tout ceci, il faut comprendre que la Grande-Bretagne vient seulement de rembourser toute la dette contractée durant les périodes difficiles précédentes. En Allemagne, ce fut en 2010.

Dans les années 30, la France eut besoin d’un effacement de 52 % de sa dette par rapport à son PIB. Ce chiffre s’éleva 25 % pour la Grande-Bretagne, à 36 % pour l’Italie à 43 % pour la Grèce.

Le président Macron a posé une question cruciale ce vendredi dans le Financial Times : l’UE est-elle une union politique ou un club mercantile ? La réponse sera apportée lors de la prochaine réunion du conseil de l’UE, mais je pense que nous connaissons tous la réponse. Des pays vont probablement quitter l’Union sous peu. Le risque ultime de défaut est bien là.

L’avantage du club mercantile qu’est l’UE pourrait bientôt disparaître. Les nations ne peuvent cependant pas gérer leur dette vu qu’elle est émise dans une devise qu’elles ne contrôlent pas. Et en pleine crise du coronavirus, aucune solidarité européenne ne se dégage. Si cela n’a pas lieu maintenant, quand est-ce que ce sera le cas ?

Mais il y a un risque de défaut encore plus important, celui provoqué par les actions outrancières des banques centrales et des gouvernements, qui ont été cette fois trop loin pour sauver tout le monde.

N’oubliez pas que c’est la capacité à taxer ses citoyens et ses entreprises qui détermine la capacité de financement d’un pays. Dans les 10 années à venir, nous allons connaître un remake des années 70. À savoir des gouvernements qui deviennent propriétaires de plus en plus d’entreprises, qui décident dans les CA ; les rendements seront de plus en plus faibles, les impôts de plus en plus élevés. La TVA sera augmentée, tout comme les droits de succession et l’impôt foncier. Les déficits continueront de se creuser. Ils seront toutefois moins chers à rembourser vu que les banques centrales décident des taux. La dette sera dévaluée grâce à une inflation largement supérieure aux taux.

Il s’agit de la définition même de la répression financière. Cela débouchera sur l’explosion des prix des actifs tangibles. Tout ceci n’est pas neuf. La FED reçut pour mission, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de dévaluer la dette américaine afin de rembourser plus facilement l’effort de guerre.

Préparez-vous à une nouvelle donne. Soit à la fin de la découverte des prix, à la dépendance d’un garant unique de tous les risques, à la hausse de la pression fiscale et à de grands changements sociétaux. En bref, il va falloir revoir nos prétentions quant à nos niveaux de vie.

Astrid Lindgren avait réussi à renverser le gouvernement. Je suis sûr que cela arrivera à nouveau. Mais avant cela, il faudra qu’il échoue. Il n’y a apparemment que par l’échec que nous comprenons. Il s’agit de la leçon que l’on peut tirer des années 20 et 30, des années 70 et maintenant des années 2007/2020.

Source : article de Steen Jakobsen, publié sur le blog de Saxo