La prochaine grande nouvelle politique de la FED pourrait prendre la forme du contrôle de la courbe des taux. Cet article de RealInvestmentAdvice, qui n’a pas son pareil pour vulgariser des sujets économiques complexes, nous explique en quoi cela consiste et les conséquences que cela aurait sur les prix des actifs et l’économie :

« La dette et les taux d’intérêt sont devenus les moteurs principaux de notre économie. Malheureusement, la majorité de cette dette n’est pas productive. Ce qui débouche sur un déclin à long terme de la croissance du PIB et de la productivité.

Dans les années 50, chaque dollar de dette générait 70 centimes de croissance. Ce rendement ne cesse de baisser depuis. Récemment, le ratio est passé de 30 centimes de croissance par dollar de dette. Et durant ces derniers mois, cela s’est empiré.

La FED, en tant que responsable des politiques monétaires, peut utiliser ses outils pour encourager soit la prospérité à long terme, soit l’activité à court terme. Elle a choisi la seconde option. Et, ainsi, elle s’est prise au piège elle-même. Chaque dollar génère toujours moins de croissance, ce qui exige d’emprunter toujours plus pour compenser. Dans cet article, nous allons expliquer pourquoi le contrôle de la courbe des taux (CCT) est une politique qui ne ferait que creuser davantage le trou dans lequel la FED se trouve.

Le trou

La dette publique et des entreprises se creuse à un rythme sans précédent. La dette non financière a progressé de près de 12 % durant le dernier trimestre. Cela devrait être pire lorsque les chiffres du second trimestre seront dévoilés.

Le déficit public américain devrait atteindre 4 trillions cette année. Pour mettre ce montant en perspective, entre 1789 et 1981 il a fallu 192 années pour que l’Amérique contracte un trillion de dettes.

Après un semestre, les entreprises ont émis pour plus d’un trillion d’obligations, soit le montant annuel enregistré durant ces dernières années.

Le graphique ci-dessous montre le ratio des dettes d’entreprises non financières et de la dette publique par rapport au PIB. Il a atteint des niveaux records, et va grimper de façon spectaculaire lorsque les statistiques du T2 seront publiées.

Tandis que le ratio dette PIB augmente, il faut davantage de dettes pour simplement maintenir l’activité économique. Vu que la FED se préoccupe uniquement du présent, ce dilemme crée un problème qui s’autoalimente. On peut comparer cela à un Ponzi, qui exige constamment des liquidités grandissantes pour pouvoir se perpétuer.

Étant donné que la FED veut à tout prix éviter la moindre contre-performance économique, l’augmentation des dettes signifie qu’elle devra être encore plus créative et active dans sa gestion des taux. Se prépare-t-elle à recourir aux taux négatifs ? Même si cette stratégie a été hautement contre-productive en Europe et au Japon, la FED n’a pas formellement écarté cette possibilité.

La FED continue de creuser

Le taux directeur américain est à zéro. La FED a déclaré qu’elle ne souhaitait pas recourir aux taux négatifs. Que peut-elle faire alors pour maintenir ouverts les robinets du crédit ?

La FED fixe les taux courts, mais elle ne peut agir que de façon indirecte sur les taux longs. Ceux-ci vont d’une échéance de 2 ans à 30 ans. Ils influencent le crédit et la consommation.

La FED a introduit un QE en 2008 alors que son taux directeur était fixé à 0. Un assouplissement quantitatif permet à la FED d’acheter des obligations dans le but de faire baisser les taux longs. Malgré ce que l’on pourrait croire, ceux-ci ont augmenté durant les QE 1 à 3. Le mois dernier, la FED a élargi son champ d’action en achetant des obligations municipales, de la dette d’entreprise, parfois même pourrie.

Définir les taux et les orienter sont 2 choses différentes. Pour la FED, la question est de savoir si elle est en mesure de contrôler les taux longs.

Le contrôle de la courbe des taux : une plus grosse pelle

Les QE 1 à 3 ont été exécutés de façon systématique. Autrement dit, la FED avait défini des montants et une durée. Ils furent utiles pour réduire l’offre en Treasuries, ainsi que pour pousser les investisseurs vers les actifs les plus risqués. Cela dit, elle n’est pas parvenue à contrôler les taux.

La FED envisage désormais une amélioration à sa façon de gérer les QE. Cet outil s’appelle le contrôle de la courbe des taux (CCT). En bref, le CCT lui permettrait de démarrer un QE perpétuel, sans contraintes de montants ou de temps. Ce contrôle définirait un objectif de taux pour les échéances longues.

Par exemple, admettons que la FED fixe un objectif de 0,75 % sur les obligations sur 10 ans. Lorsque le taux dépasse ce niveau, elle achète ces obligations jusqu’à ce qu’il tombe jusqu’à l’objectif. En cas de succès, elle n’aurait même plus le besoin d’intervenir vu que les traders apprendraient que combattre la FED est futile.

Il est important d’être bien clair en ce qui concerne la définition du contrôle de la courbe des taux. La FED présente cet outil comme une option visant à aider l’économie à traverser une période difficile. Cependant, il s’agit d’un euphémisme pour le contrôle des prix.

Il s’agit d’une pratique malavisée en général. Mais ici, c’est d’autant plus grave qu’on parle de la composante la plus fondamentale d’un système économique, à savoir le prix de l’argent. Historiquement, les conséquences des contrôles des prix sont systématiquement néfastes. Voici 2 exemples récents :

  • Les contrôles imposés sur l’essence durant l’embargo du pétrole arabe de 1973-1974 avaient créé d’énormes files dans les stations-service ;
  • Les contrôles sur le prix de l’électricité californienne, qui ont débouché sur des périodes fréquentes de black out.

Gérer la courbe des taux

On appelle cela gestion de la courbe des taux car une banque centrale qui recourt à cette politique peut fixer les écarts de rendement. Plus ceux-ci sont importants, plus ils profitent aux banques vu qu’elles ont tendance à emprunter à court terme et à prêter à long terme. Plus de marges bénéficiaires les encouragent à prêter, cela stimule donc l’activité économique. Au contraire, une courbe plus plate inhibe le crédit.

Le problème de la FED est le suivant. Comment peut-elle creuser la courbe des taux pour stimuler le crédit tout en évitant de voir les taux longs décoller ? La solution offerte par le contrôle de la courbe des taux pourrait engendrer un problème encore plus aigu.

Un précédent historique

En adoptant cette stratégie, la FED ne s’aventurerait pas en territoire inconnu. En effet, le CCT fut utilisé entre 1942 et 1950 afin de gérer l’effort de guerre américain. Il est intéressant de noter qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’inflation a atteint les 2 chiffres aux États-Unis. Pourtant, la FED a maintenu les taux d’intérêt à des niveaux artificiellement bas (pour pousser ainsi les taux réels en territoire largement négatif). Si les porteurs obligataires n’ont pas nécessairement perdu de l’argent sur le prix de leurs obligations, ils ont clairement été perdants en termes de pouvoir d’achat, comme le montre le graphique ci-dessous :

Plus récemment, la Banque du Japon a fixé un objectif de 0 % sur son obligation sur 10 ans. Actuellement, la Banque d’Australie a fixé un objectif de 0,25 % sur son obligation sur 3 ans.

Conclusion

Le président de la FED de New York, John Williams, a déclaré que les décideurs « réfléchissent très sérieusement » au contrôle de la courbe des taux. Vu le contexte, il semble probable qu’ils vont adopter cette stratégie. Ce qui ne ferait que creuser davantage le trou dans lequel nous sommes.

Le problème de cette stratégie, c’est qu’elle engendre des taux de croissance anémiques. De plus, elle creuse les inégalités, le facteur qui alimente les remous sociaux. Les politiques que la FED défend bec et ongles vont à l’encontre de l’environnement économique et social sain dont les États-Unis ont désespérément besoin. Mais vu la crise, les investisseurs applaudissent, sans voir les effets néfastes que cela aura sur l’économie. Comme on dit, l’argent gratuit, cela n’existe pas. »