La FED a donc décidé de commencer à vendre une partie des actifs qu’elle a achetés au cours de ses QE à partir d’octobre, ce qui a provoqué la baisse du cours de l’or de ce lundi. Cette entreprise est évidemment très risquée, comme l’explique cet article d’Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph. En bref, la FED va absorber des liquidités au lieu d’en fournir. Et si les QE ont dissuadé les investisseurs de se positionner sur les valeurs refuges et baissé les taux, leur détricotage devrait en toute logique avoir l’effet inverse, ce qui devrait être très positif à terme pour les métaux précieux :

« On peut excuser le petit mensonge de la FED américaine et de ses consœurs de banques centrales : personne ne serait gagnant si elles admettaient qu’elles n’ont aucune idée de la façon de mettre un terme à leurs expériences monétaires extrêmes de façon sûre pour la planète.

La présidente de la FED Janet Yellen a enfin pris une décision conséquente après avoir fait marche arrière à plusieurs reprises. La tant attendue inversion de son programme d’assouplissement quantitatif démarrera en octobre.

Deutsche Bank qualifie cet événement de « grand détricotage », mais aussi de candidat numéro 1 des éléments déclencheurs de la prochaine crise financière mondiale.

La question est de savoir pourquoi la FED de Yellen, d’habitude si prudente, a choisi de s’aventurer sur ce terrain très glissant alors qu’il n’y avait pas d’urgence, et avant d’avoir relevé les taux à des niveaux minimums sûrs. Cette séquence n’a pas de sens. Elle laisse la FED sans filet de secours, et donc plus vulnérable à un choc externe.

L’ancien président de la FED Ben Bernanke a conseillé à ses anciens collègues de ne pas toucher au QE aussi longtemps que possible. La banque centrale devrait botter en touche et laisser l’économie absorber via la croissance et sur la durée les 4,5 trillions d’actifs qui se trouvent sur le bilan de la FED. Dans un langage exempt de circonlocutions universitaires, le message est le suivant : inverser un QE est tout simplement trop dangereux (il faut laisser les actifs arriver à maturité).

Le vœu pieux de Madame Yellen est de voir le resserrement quantitatif se passer « en coulisse, dans le calme ». Ce sera comme « regarder de la peinture sécher ». Son portefeuille de Treasuries et de titres adossés à des créances hypothécaires se videra lentement, en commençant avec 10 milliards de dollars par mois en octobre pour ensuite augmenter petit à petit la dose jusqu’à atteindre 50 milliards mensuels au début 2019. Tout a été téléphoné, où se situe le problème ?

La réponse évidente est que la FED a toujours avancé qu’un QE fonctionne à travers « l’effet de canalisation des portefeuilles » : soit en forçant les investisseurs à sortir des valeurs refuges pour se positionner sur les marchés actions, du crédit, immobilier et toutes les autres classes d’actifs (plus risquées).

Les banques centrales ont publié d’innombrables études montrant comment les QE ont magnifiquement abaissé le coût du crédit et compressé la courbe des rendements. Pourtant, c’est le silence radio concernant les conséquences de l’inversion. « Soit les politiques des QE ont des effets, soit elles n’en ont pas. Ça marche dans les 2 sens ou pas du tout », a déclaré Torsten Slok, économiste en chef de la Deutsche Bank.

effet du QE sur le bilan de la FedAnnuler un QE assèche de toute évidence des liquidités tout en ayant un effet de contraction sur la masse monétaire. Lorsque la BCE stoppera son QE et que la banque du Japon réduira le sien pour ses propres raisons (elle détient déjà 75 % des ETF de la bourse de Tokyo), l’opération d’inversion pourrait absorber 1,8 trillion de dollars de liquidités par an. Il s’agit d’argent bien réel.

La FED a sans aucun doute atteint son objectif de post-crise visant à doper les marchés, même si Monsieur Bernanke a admis de façon désarmante que personne n’est capable de dire pourquoi. « Le problème avec les QE est que cela marche en pratique, mais pas en théorie. »

L’accumulation de 14,4 trillions de dollars d’actifs par les grandes banques centrales a fait des ravages sur les valorisations des marchés. Le ratio Shiller cours/bénéfices du S&P 500 est actuellement à 30,68, soit plus élevé qu’à l’occasion du pic spéculatif de 1929.

La BRI a averti cette semaine que l’utilisation de la dette de marge à travers le monde pour acheter des actions est désormais à des niveaux plus extrêmes que durant la bulle Internet de 2000. Les crédits à effets de levier ont atteint la somme sans précédent d’un trillion de dollars. Comme la BRI l’a écrit, ce n’est tenable que tant que les banques centrales maintiennent les taux à des niveaux planchers, alors que c’est précisément ce qui est remis en question.

« L’éternel éléphant dans le magasin de porcelaine reste que les marchés obligataires sous-estiment le rythme à venir du resserrement monétaire de la Fed », affirme l’Institut de la Finance Internationale. « Pourtant, les écarts de taux laissent toujours transparaître peu d’inquiétudes alors que les valorisations des marchés actions poursuivent leur hausse tandis que les révisions des résultats sont en décalage par rapport aux valorisations. Les niveaux actuels de la bourse peuvent donc être considérés comme un combat de coqs dans lequel personne ne souhaite reculer. »

8 années de vannes grandes ouvertes de liquidités en Occident ont déstabilisé l’Orient, même si la Chine n’a pas à rougir en la matière. La dette mondiale représentait déjà 276 % du PIB juste avant la crise Lehman. Elle a bondi aujourd’hui à 327 % alors que les marchés émergents ont aussi succombé à la tentation.

Jamais nous n’avons connu pareille situation. Personne ne sait, même les éminences grises de la FED, l’ampleur du resserrement monétaire à même de faire détonner cette charge explosive. La BRI pense que nous sommes proches d’atteindre un « piège de la dette ».

Il est pourtant curieux de constater que toutes ces stimulations monétaires mondiales n’ont pas réussi à générer une inflation digne de ce nom. L’indicateur clé de la FED, le core PCE, n’a cessé de baisser depuis le début de l’année pour s’élever à nouveau à 1,4 %. Une grande partie de la zone euro a un pied dans la déflation, même aujourd’hui.

C’est d’autant plus bizarre que le chômage a atteint un seuil inférieur au « NAIRU » (taux de chômage n’accélérant pas l’inflation) aux États-Unis. Il devient difficile pour les employeurs de pourvoir certains postes. Le marché du travail américain est aussi tendu que la membrane d’un tambour.

Le souci qui hante Yellen est que c’est en train de devenir un remake de 1965, lorsque l’inflation semblait être aussi timide qu’aujourd’hui. Mais les pressions s’accumulaient en catimini. Tout à coup, les prix se sont mis à bondir, comme un ressort tendu sorti de sa boîte. C’est ainsi qu’est née la spirale d’augmentation des salaires et des prix de la fin des années 60.

Madame Yellen doit composer avec la possibilité que « l’effet de la Chine » et « l’effet Amazon », à savoir la mondialisation et les changements technologiques, n’ont peut-être pas rendus caduque la vénérable courbe de Phillips. Ils ont peut-être simplement repoussé les conséquences.

Nous devrions avoir de la sympathie pour les banques centrales alors qu’elles naviguent au milieu de ces récifs, il n’en reste pas moins très bizarre que la FED ait choisi d’inverser son QE si tôt plutôt que de relever les taux et restaurer l’équilibre « Wicksellien ».

Habituellement, il faut baisser les taux de 300 à 500 points de base pour combattre une récession. Après la crise de 2008, la FED se retrouva à court de munitions après 475 points, ce qui explique pourquoi elle se tourna vers le QE. Au total, on a atteint un chiffre « synthétique » de 8,5 %. Pourtant, on a connu la plus faible reprise depuis la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, la FED n’a que 100 points de base à sa disposition en cas de crise. Ce qui signifie qu’en cas de besoin d’un nouveau QE, la barre sera placée très haute. Krishna Guha d’Evercore affirme que le conseil de la FED risque d’être bouleversé dans les mois à venir, lorsque le président Trump choisira un nouveau président, 2 vice-présidents et probablement 5 gouverneurs. Le caractère de l’institution est sur le point de changer. La brigade de Monsieur Trump sera bien plus hostile aux QE.

« Tout ce qui était considéré comme acquis concernant la FED est grandement menacé », a déclaré Russell Jones de Llewellyn Consulting. « Les risques d’erreur sont sérieux. Le risque est de voir les décideurs devoir sauter d’une voie discrète à une autre, ce qui pourrait produire des conséquences dramatiques. »

Nous vivons donc dans un monde avec des ratios de dette vertigineux, avec une FED qui a très peu de marge de manœuvre pour abaisser les taux en cas de récession et des QE vers lesquels on se tournera uniquement en cas de catastrophe. Comme on a coutume de le dire dans les bureaux des banques centrales, il s’agit d’une voiture qui roule sans pneu de secours. »