Depuis le début des années 80, l’économie mondiale s’est caractérisée par une tendance à la désinflation et à la baisse des taux. Aujourd’hui, notre paradigme est en train de changer. Dans les années à venir, nous allons faire face à une hausse de l’inflation et des taux.

Il s’agit de la prédiction de Ronnie Stöferle, partenaire de la société liechtensteinoise de gestion Incrementum, développée dans un article intitulé « Le garçon qui criait au loup ».

Les conséquences sur les marchés de ce changement de paradigme seront énormes. « L’inflation est quelque chose à laquelle personne n’est préparé. Le gestionnaire lambda n’a jamais dû naviguer dans un environnement d’inflation en hausse, » a déclaré Stöferle.

Il prédit un exode imminent du marché obligataire. Des politiques monétaires encore plus extrêmes ne sont pas à exclure, selon lui. Le marché des matières premières devrait être le principal bénéficiaire de cet environnement, surtout l’or. Dans une entretien avec The Market NZZ, Stöferle évoque le rôle des métaux précieux dans un portefeuille diversifié, les actions minières, l’argent et Bitcoin. Morceaux choisis :

Concernant les faux signaux d’alarme de l’inflation depuis 2008

Après la crise financière de 2008, de nombreuses voix annoncèrent de l’inflation en vertu des politiques monétaires non orthodoxes qui furent adoptées. Elles se focalisaient sur les bilans des banques centrales au lieu de se concentrer sur la stagnation des agrégats monétaires. À l’époque, les banques centrales tentèrent de compenser l’effondrement de la demande pour le crédit bancaire. Elles ont plus ou moins réussi, non sans provoquer une inflation massive des prix. Dans ce contexte, on peut dire qu’il a eu de l’inflation, mais pas dans les prix à la consommation. En fait, tout est une question de sémantique. Selon l’école autrichienne, l’inflation représente l’augmentation de la masse monétaire non couverte. Je pense que l’on a clairement enregistré ce phénomène.

Pourquoi l’inflation des prix devrait se manifester

Le point central du raisonnement est le suivant : pour combattre la pandémie de coronavirus, nous sommes passés de politiques de stimulations monétaires à des politiques de stimulations fiscales. C’est pourquoi les agrégats monétaires larges tels que M2 et M3 augmentent aujourd’hui.

Deuxièmement, aux États-Unis et tôt ou tard en Europe, les autorités monétaires sont prêtes à laisser l’inflation dépasser 2 %.

Troisièmement, la dette publique a explosé, tous les tabous sont tombés. Historiquement, on sait que plus la dette est élevée, plus les politiciens souhaitent de l’inflation.

Pour conclure, je dirais que des stratégies obscures telles que la théorie monétaire moderne sont désormais envisagées.

Sur la possibilité d’avoir de l’inflation alors que la vélocité de la monnaie s’effondre

La vélocité a baissé durant le confinement. Mais tandis que les programmes de vaccination sont en cours, les gens vont réaliser que le pire de la crise est derrière nous. Les entreprises et la population vont normaliser leurs comportements. Ce qui va déboucher sur la normalisation de la vélocité de la monnaie. On peut déjà observer ce changement de tendance. La combinaison de l’augmentation significative de la masse monétaire et de la normalisation de la vélocité peut engendrer rapidement des pressions inflationnistes. Elles pourraient se manifester dès le printemps.

Sur les forces déflationnistes engendrées par la pandémie

Il est vrai qu’il y a de fortes forces déflationnistes qui agissent sur l’économie mondiale. Mais je pense que certaines vont s’atténuer. Par exemple, avant la pandémie le scepticisme concernant la mondialisation grandissait déjà. Aujourd’hui, nous avons vu à quel point les chaînes logistiques peuvent être vulnérables. Les pressions qui pèsent sur les sociétés afin qu’elles rapatrient leur production s’intensifient. Les États-Unis et la Chine sont dans une guerre froide, cela ne changera pas sous Joe Biden. Le populisme n’est pas prêt de disparaître. L’inflation et la déflation sont telles des plaques tectoniques qui s’opposent. Et je pense que les forces inflationnistes sont en train de prendre le dessus.

Sur l’inflation que l’on pourrait connaître aux États-Unis et en Europe

Des taux annuels d’inflation de 4 à 5 % ne m’étonneraient pas.

Des économistes de renom tels que Larry Summers recommandent une inflation de 4 à 5 % en tant que méthode efficace pour réduire la dette publique. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il est présomptueux de penser que vous pouvez contrôler les interactions humaines, l’inflation, l’économie ou les marchés financiers avec une précision chirurgicale. On ne peut pas contrôler la vie économique comme un thermostat.

En cas d’inflation, que se passera-t-il sur les marchés ?

Ce sera très intéressant. Tout d’abord, il sera passionnant de voir si et pendant combien de temps les responsables de la Fed vont résister à la pression de relever les taux. Cela deviendra un problème politique. Deuxièmement, est-ce que les taux vont augmenter sur les marchés obligataires, ou est-ce que les banques centrales vont mettre en place le contrôle de la courbe des taux ?

Les actions profiteront-elles d’une inflation élevée ?

C’est possible. Des études montrent que la zone de confort les actions se situe entre 1 et 3 % d’inflation. Au-delà, les choses deviennent critiques. Il faut faire la distinction entre les entreprises qui ont le pouvoir de fixer leurs prix et les autres. Warren Buffet a très bien expliqué cela dans un papier de 1977. Certains secteurs profitent de l’inflation, d’autres en sont les victimes. Pour les matières premières, par exemple, nous sommes très confiants. C’est dans un tel environnement que l’or se comportera de façon fantastique.

Dans un portefeuille traditionnel 60/40, les obligations (40 %) servent d’assurance aux actions (60%). Ce mode d’allocation deviendra-t-il obsolète ?

Oui. Nous avons connu un marché haussier obligataire long de 40 ans, mais il arrive à son terme. Aujourd’hui, les obligations d’un portefeuille sont comme un défenseur de foot qui fut infranchissable, mais qui est désormais dépassé car en fin de carrière. Je ne vois pas comment les obligations pourraient servir d’assurance dans le portefeuille du futur. Ce facteur fait également partie du changement de paradigme que nous connaissons.

L’or peut-il reprendre cette position de défenseur ?

Oui. L’or s’est comporté comme on était en droit de l’attendre en 2020. Comme un bon défenseur, il a tenu sa position et stabilisé les portefeuilles. L’or a réagi brièvement en mars lorsque les investisseurs ont fait face à des appels de marge, mais en général, son comportement fut conforme aux attentes. Le métal jaune a pour objectif de stabiliser un portefeuille durant les récessions, durant les périodes de hausse de l’inflation, lorsque les taux sont négatifs, en temps de crise. L’or n’est pas un instrument spéculatif, il s’agit d’une assurance sur le long terme.

Que pensez-vous de l’argent ?

Par rapport à l’or, l’argent est historiquement beaucoup trop bon marché. Au printemps dernier, nous avons consacré un chapitre à l’argent dans notre rapport annuel In Gold We Trust 2020. Il s’agissait d’une première depuis ses débuts, il y a 14 ans. À l’époque, nous avions écrit que « l’argent n’est pas populaire, il est ignoré et légèrement ridiculisé. Pour le contrarien futé, il s’agit probablement de l’un des meilleurs moments pour investir dans l’argent. » Depuis, son prix a augmenté de 60 %, mais il reste bon marché. Suite à la correction de l’or de ces derniers mois, l’argent s’est admirablement bien maintenu, ce qui est positif. Lorsque le métal jaune repartira sur son élan, l’argent surperformera.

Que pensez-vous de Bitcoin, un actif qui fait mieux que les métaux précieux cette année

J’aime les deux. Tout comme j’aime skier et faire du snowboard hors piste. Chez Incrementum, nous avons un fonds or physique et numérique avec l’allocation stratégique suivante : 75 % or physique et 25 % Bitcoin. BTC est hautement volatile. Il faut donc gérer cette volatilité, notamment en utilisant les options. 2020 fut l’année de la maturité pour Bitcoin. Désormais, l’infrastructure nécessaire est en place, il y a des marchés à terme et des options, des choses qui n’existaient pas en 2017. De ce fait, des investisseurs célèbres ont pris goût pour cet actif. Bitcoin est un petit marché, il pèse seulement 400 milliards alors que l’or représente plus de 10 trillions de dollars. Bien sûr, l’or a 5.000 ans d’histoire, a survécu les guerres, les réformes monétaires, tous les systèmes politiques. Il a donc un profil de risque complètement différent par rapport à une technologie qui a à peine un peu plus de 10 ans. Mais pour moi, Bitcoin est un actif qui ne peut être dévalué de façon arbitraire, comme l’or. Les 2 devraient faire partie d’un portefeuille diversifié.