Le projet de premier budget de Donald Trump est un scandale macro-économique. Il ne prévoit rien pour contenir les coûts montant en flèche des prestations sociales pour les classes moyennes et les pensions qui menacent les États-Unis d’une lente atrophie, ou pour s’attaquer à la crise de la productivité des États-Unis.

Le document brutal qui a été envoyé au Congrès ignore Medicare, la Sécurité sociale ainsi que les autres programmes géants qui totalisent des dépenses garanties de 2,5 trillions de dollars, alors qu’il augmente le budget de la Défense de 54 milliards, soit de 10 %, des dépenses qui en soi ne permettront pas de relever le déclin d’une croissance s’étiolant inexorablement.

Le CBO (Congressional Budget Office) estime qu’une telle stratégie pousserait très rapidement le déficit à un trillion de dollars ainsi qu’à 5 % du PIB sur une base structurelle d’ici la moitié des années 2020 si tout va bien.

Le président Trump prévoit une croissance de 3 ou 4 %. Sur base de ce que nous avons vu jusqu’à présent, son plan laisserait l’économie américaine en stagnation avec une croissance maximale à long terme glissant inexorablement de 1,5 à 1 %. Il y aura peut-être un sursaut en raison des effets cycliques, même si cela reste encore à démontrer, mais il serait de courte durée et sans amélioration durable.

Les réductions importantes de financement sont entièrement concentrées sur le sixième restant du budget fédéral américain. La science, la recherche, l’environnement, la diplomatie, le support aux zones rurales, les arts et, surtout, les programmes en faveur des pauvres payeront la note.

C’est ce que la gauche craignait du premier budget de Margaret Thatcher, mais ces craintes furent très loin de la vérité. Le budget de Monsieur Trump les matérialise. Il a l’intention de revenir en arrière sur presque 70 années de démocratie sociale, ou du moins sur sa version américaine de gauche.

Steve Bannon, le conseiller de Trump, le qualifie de « déconstruction de l’État administratif », effectuée sans pitié ou scrupules. En effet, elle est faite avec délectation.

« Ne vous méprenez pas, il s’agit d’un budget de puissance coercitive, pas de puissance douce. C’est ce que le président voulait et que nous lui avons donné », a déclaré le directeur du budget Mick Mulvaney.

Toute personne espérant des investissements dans les infrastructures susceptibles, au moins, d’améliorer la compétitivité des États-Unis sera déçue. Le plan intitulé « L’Amérique d’abord : projet de budget pour restaurer la grandeur de l’Amérique » voudrait réduire le budget du département des Transports de 14 %, dont notamment le programme TIGER en faveur des routes, du rail, des ponts et des ports.

L’Institut national de la santé, l’établissement scientifique le plus prestigieux du monde, verrait son financement réduit de 5,8 milliards de dollars, soit de presque 20 %. Sa division scientifique séparée subirait les mêmes dommages avec de grosses baisses des bourses à 300 universités et laboratoires.

Le magnifique programme ARPE-E du département de l’Energie consacré à la recherche de pointe dans les nouvelles sources d’énergie et des mini-projets Manhattan de toutes sortes serait éliminé. Ce faisant, les États-Unis transmettraient à l’Asie le leadership dans la recherche du XXIe siècle. Il s’agit d’un suicide de superpuissance.

Le département d’État verrait son budget amputé de 29 %, en éviscérant l’aide étrangère, les indemnisations pour les catastrophes naturelles ou encore le programme « paix contre nourriture ». La baisse de 31 % du budget de l’Agence de protection de l’environnement semble même avoir choqué son nouveau patron, Scott Pruitt, un sceptique du changement climatique. Alors qu’il avait demandé à la Maison Blanche de calmer ses ardeurs lorsqu’il a reçu le brouillon, il n’a pu que constater une baisse encore plus forte dans le document final.

Environ 50 projets de l’Agence de la protection de l’environnement seraient abandonnés, comme le nettoyage des Grands Lacs et de la baie de Chesapeake. Il réduit grandement le financement du programme de gestion des déchets et élimine ceux concernant le traitement de l’eau et les égouts. L’argent à destination des forêts nationales sera également fortement réduit.

Tout ce qui concerne le réchauffement climatique ou les gaz à effet de serre, peu importe le département concerné, serait supprimé, que ce soit au niveau de l’Agence pour l’environnement, de la NASA, du département de l’Energie ou même de la division du réchauffement climatique aux Nations unies. Il est ciblé avec un zèle idéologique qui frise l’obsession.

Cette campagne est une véritable déclaration de guerre au mouvement du changement climatique, et donc contre le consensus mondial. Il ne s’agit pas d’une demande visant à vérifier davantage la science, il s’agit de la supprimer. Cet assaut a lieu justement alors que Nature vient de publier les dernières tristes preuves que les grandes zones des récifs coralliens australiens sont en train de mourir, ou sont déjà mortes.

Pour faire bonne mesure, le budget veut éliminer les 3 milliards de dollars à destination du département du Logement qui financent le programme des repas à domicile pour les personnes âgées et qui aident les pauvres à payer leur facture de chauffage.

Les conséquences de telles baisses budgétaires dans de nombreux départements fédéraux seront dévastatrices pour Washington DC, et les zones avoisinantes du Maryland ainsi que de Virginie qui fournissent les contingents de fonctionnaires. C’est intentionnel. « Vous ne pouvez pas drainer les marécages en y laissant les gens », a déclaré M. Mulvaney.

Ces intentions annoncent la couleur. L’intégralité du budget ne sera pas dévoilée avant mai. Les républicains de Capitol Hill ont déjà répudié de nombreuses baisses. Les sénateurs Lindsey Graham et John McCain ont déclaré que les assauts contre le département d’État sont « morts dans l’œuf ». L’ancien président de la Chambre Newt Gingrich a qualifié d’idiotes les baisses de dotations pour la recherche scientifique. D’autres se battront pour sauver des programmes populaires dans leur région.

On pourrait dire que Donald Trump abandonne avant même d’avoir commencé en faisant des propositions aussi malicieuses qu’irresponsables, mais on pourrait également dire que cette posture de départ agressive prépare le gouvernement américain à se diriger dans ce sens (note : Trump a toujours expliqué que c’est de cette façon qu’il faut négocier, comme un marchand de tapis du souk de Marrakech, notamment dans son livre The Art of the Deal). Le compromis qui en découlerait serait très inquiétant pour le monde.

Certains disent que Monsieur Trump imite en quelque sorte Ronald Reagan. Laissez-moi réfuter catégoriquement cet argument. J’ai couvert l’ère Reagan en tant que correspondant à Washington. C’est vrai qu’il voulait réduire la taille du gouvernement mais en bout de course, Ronald Reagan avait de la compassion et du bon sens, c’était un gentleman de la tradition américaine. Ce que nous avons devant nous, c’est une horreur hobbesienne.

Article d’Ambrose Evans Pritchard, publié le 16 mars 2017 sur le site du Telegraph