Outre la mondialisation, de gros points d’interrogation planent sur l’emploi en raison de l’apparition de robots toujours plus perfectionnés susceptibles de remplacer un nombre croissant de travailleurs. Pour schématiser, deux grands camps s’affrontent : le premier (les « optimistes ») affirme que cela n’aura pas d’impact en termes de nombre d’emplois (les emplois détruits seront remplacés par de nouveaux et trop de tâches ne pourront être effectuées aussi bien que les humains), l’autre (les « pessimistes ») que le travail va se raréfier.

L’argument majeur des « optimistes » s’appuie sur l’exemple de la révolution industrielle. À l’époque, certains avaient tiré la sonnette d’alarme en affirmant que les machines allaient tuer l’emploi, ce qui au final fut faux vu que cette révolution a permis le développement du tertiaire. Les « pessimistes » estiment au contraire que cette fois, c’est différent.

Analyser objectivement les conséquences de la robotisation sur l’emploi

Le souci est qu’il y a très peu de faits objectifs pour trancher la question, nous sommes plus dans le domaine de l’opinion que de l’analyse objective. Jusqu’à cette étude de Daron Acemoglu, du MIT, qui a analysé l’évolution de l’emploi dans les zones où la robotisation s’est le plus développée aux États-Unis. Bien sûr, il s’agit d’une question complexe qui englobe bien d’autres paramètres (comme ceux cités par les auteurs, mais aussi le lieu de la localisation des emplois créés, soit où sont fabriqués ces robots). Mais c’est toujours mieux que rien. Bloomberg, dans cet article, résume l’étude américaine :

« Serez-vous remplacés par un robot ? La réponse à cette question a de grandes implications pour l’économie américaine, surtout pour le secteur manufacturier. Les secteurs qui s’automatisent ont tendance à augmenter leur productivité. Mais l’apparition des robots a des conséquences catastrophiques pour les travailleurs.

Deux économistes ont récemment conclu qu’à la fois l’emploi et les salaires chutent dans les régions américaines où les robots apparaissent. L’étude de mars 2017 de Daron Acemoglu du Massachusetts Institute of Technology et de Pascual Restrepo de l’université de Boston met en exergue les conséquences de l’installation des robots dans les bassins d’emploi ayant été les plus touchés par l’automatisation.

Le nord du Midwest, surtout le Michigan, est le « Ground Zero » de l’explosion de la robotisation entre 1990 à 2007. Ce qui semble logique, vu que le secteur automobile est celui qui utilise le plus de robots. Les autres points sensibles ne représentent pas non plus une surprise lorsqu’on y regarde de plus près. À Beaumont, dans le Texas, beaucoup de travailleurs sont occupés par les secteurs plastique, chimique et pharmaceutique, qui ont eux aussi énormément recours à l’automatisation. Wilmington, dans le Delaware, occupe également beaucoup de travailleurs dans ce secteur ainsi que dans la fabrication de voitures, d’après Restrepo.

Cette robotisation a eu des conséquences néfastes sur l’emploi. Bien sûr, beaucoup de facteurs pèsent sur celui-ci. La concurrence étrangère, le dollar fort et l’augmentation de la productivité jouent également un rôle important. Mais même après avoir pris tous ces facteurs en compte, Acemoglu et Restrepo établissent quand même que l’augmentation des robots dans un bassin réduit l’emploi et les salaires. Leur étude inclut toute machine autonome capable d’effectuer plusieurs tâches (donc, par exemple, cela exclut les machines à café).

La période couverte par l’étude s’arrête juste avant la récession de 2007-2009. Acemoglu et Restrepo ont déclaré que la récession a introduit trop de variables affectant l’emploi, ce qui complique davantage l’isolation de l’impact des robots.

Mais que s’est-il passé depuis la récession, et quelles sont les conséquences sur l’emploi manufacturier ? Nous avons compilé les statistiques du BLS de différents secteurs manufacturiers afin d’essayer d’y voir plus clair. Clairement, ce genre d’analyse ne permet pas de tirer les conclusions directes d’Acemoglu et Restrepo. En revanche, elle permet de dégager des tendances intéressantes en ce qui concerne les emplois ouvriers.

Pour commencer, le secteur industriel américain aime toujours les robots. Les commandes ont chuté pendant et juste après la récession. Mais depuis, elles sont fortement reparties à la hausse.Mais l’automatisation ne concerne pas que les robots. Les statistiques du BLS montrent que l’équipement (les machines, l’ameublement, les véhicules et les programmes informatiques, par exemple) prend une part de plus en plus importante, par rapport à la main-d’œuvre, dans les processus de production. Dans les secteurs manufacturiers, qui sont historiquement à la pointe dans l’utilisation des robots, on a assisté à une hausse généralisée.Cela semble coïncider avec une augmentation de la productivité dans de nombreux secteurs. Souvent, l’augmentation de l’utilisation des équipements débouche sur une augmentation de la productivité. La productivité augmente plus vite que l’emploi, ce qui signifie que la productivité par employé progresse.

Il y a cependant d’énormes disparités entre les secteurs. Dans celui de l’habillement, la productivité a baissé de concert avec l’emploi, malgré la robotisation de ce secteur. Certains des secteurs ayant enregistré les plus grosses pertes d’emplois sont ceux qui ne se sont pas automatisés intensivement, comme le textile ou l’industrie du papier. Cela montre bien que l’absence de robots ne protégera pas nécessairement votre emploi.

En conclusion : les robots remplacent bel et bien les travailleurs. Néanmoins, certains secteurs qui n’automatisent pas perdent de toute façon des travailleurs, car leurs coûts sont trop élevés et leurs clients vont voir ailleurs. Pour les travailleurs, la robotisation n’est qu’une partie du problème. »