La FED achète des obligations corporate pourries et des ETF dette d’entreprise dans le cadre de sa campagne visant à revigorer l’économie américaine. Les actions seraient le prochain élément sur sa liste d’achat, selon Scott Minerd, CIO de Guggenheim Partners, selon CNN Business.

Depuis le 23 mars, le S&P 500 a enregistré une hausse vertigineuse de 40 %, soit lorsque la FED a annoncé son expérience sans précédent avec les obligations pourries. Cette hausse, qui s’est matérialisée en conjonction avec l’effondrement de l’économie réelle, a porté les valorisations de la Bourse au niveau de la bulle Internet.

Mais Minerd pense que les marchés vont être rattrapés par la réalité, et vite. Il pense que le S&P 500 va retester son plus bas du 23 mars à 2.237,4 points en juillet. S’il ne parvient pas à tenir ce seuil, il pourrait s’effondrer jusqu’à 1.600 points. Ce qui correspond à une baisse de 49 % par rapport au niveau de mardi.

« À un moment ou à un autre, la FED devra sortir son bazooka, a déclaré Minerd dans l’interview. Et je pense que l’option qui consiste à acheter des actions est sur la table du côté de la FED. »

En cas d’effondrement de la Bourse, la confiance des ménages serait érodée, ainsi que celle des petites entreprises et des CEO. Les entreprises éprouveraient plus de difficultés à accéder au crédit vu la forte corrélation entre les prix des actions et les écarts de rendement sur les obligations corporate. (…)

Le 13 février dernier, il avait déjà averti ses clients des dangers qui menaçaient la Bourse : « Cela va mal finir. Durant toute ma carrière, je n’ai rien vu d’aussi dingue. »

Ce n’est pas la première fois que Minerd prévient qu’une tempête couve. En août 2007, il avait averti que l’étranglement du crédit pourrait déboucher sur une récession. Les actions atteignirent un niveau record durant l’automne suivant pour ensuite connaître un effondrement historique qui déboucha sur la grande récession.

La FED a dégrippé les marchés du crédit

Depuis le début de la pandémie, la Banque centrale américaine a implémenté toute une série de programmes d’urgence. Les mesures prises après 2008 font pâle figure par rapport à ceux-ci.

Les achats agressifs de la FED ont porté son bilan jusqu’à 7,2 trillions de dollars, alors qu’il n’était encore qu’à 4,2 trillions à la fin de l’année 2019. Aujourd’hui, son bilan été multiplié par 8 par rapport à l’avant 2008.

L’objectif de ces interventions massives, d’après Powell, est de s’assurer que les entreprises et les ménages ont accès au crédit, le moteur de l’économie. Jusqu’à présent, cela marche. Des entreprises en difficulté, telles que Carnival et Ford, qui étaient exclues des marchés du crédit en mars, purent à nouveau emprunter.

Des banques centrales étrangères achètent déjà des actions

Acheter des actions serait une escalade significative dans la mission de la FED visant à éviter une dépression. Mais aussi un obstacle légal.

Techniquement, la FED ne dispose pas de l’autorité légale pour acheter des actions. En avril dernier, Janet Yellen avait déclaré à CNBC que la banque centrale devrait tenter d’obtenir ce droit.

« Franchement, je ne pense pas que c’est nécessaire en ce moment, avait-elle déclaré, mais à terme ce ne serait pas une mauvaise chose de la part du Congrès de reconsidérer les pouvoirs de la FED en termes des actifs qu’elle peut acheter. »

Certaines banques centrales étrangères achètent déjà agressivement les marchés actions. La Banque du Japon achète des ETF actions depuis une décennie déjà. Elle est l’un des plus gros porteurs de titres japonais.

La Banque de Suisse possédait pour plus de 94 milliards de dollars d’actions à la fin du premier trimestre 2020. Notamment pour plus d’un milliard de titres tels que Facebook, Amazon et Apple, d’après les déclarations enregistrées auprès de la SEC.

Ces 12 dernières années nous ont montré que la FED, en temps de crise, est toujours prête à repousser les limites. « À chaque fois que la FED s’est retrouvée face à un problème exigeant une nouvelle solution, elle a toujours été créative lorsqu’il s’agit de trouver une façon de l’implémenter », a déclaré Minerd.

Un précédent inquiétant

Déjà maintenant, les critiques de la FED estiment qu’elle a outrepassé son mandat en achetant des obligations d’entreprise. Une chose qu’elle n’avait jamais faite durant la grande récession. Le Federal Reserve Act de 1913, la loi qui institua la FED, lui interdit d’acheter des actifs d’entreprise.

Pour contourner cette règle, la FED a créé en mars un véhicule spécial financé par le Trésor américain et géré par BlackRock. La banque centrale s’est justifiée en citant les « circonstances inhabituelles et difficiles » qui l’autorisent à lancer des facilités de crédit « au sens large ». Le programme a été officiellement lancé ce mardi.

Selon Minerd, un mécanisme similaire pourrait être utilisé pour permettre à la FED d’acheter des actions. Un porte-parole de la FED a redirigé CNN Business au témoignage devant le Congrès de Powell de juillet 2019 en guise de réponse. Le président de la FED avait déclaré à l’époque : « Ce n’est pas un pouvoir que nous tentons d’obtenir, que nous envisageons ou dont nous avons besoin. »

Bien entendu, une telle décision serait hautement controversée. Elle lèverait des inquiétudes à propos de ses risques moraux, et des conséquences non intentionnelles qu’elle pourrait provoquer.

Cela signifie aussi que la FED pourrait essuyer des pertes en cas de baisse des marchés. À titre d’exemple, la Banque de Suisse a essuyé une perte record de 31,9 milliards de francs suisses durant les turbulences du premier trimestre.

Minerd crainte également que les achats obligataires de la FED faussent le système capitaliste.

« La FED qui continue de financer ces entreprises zombies qui ne méritent pas d’exister crée un précédent inquiétant », a-t-il déclaré.

Selon Minerd, cette expérience est un programme « presque socialiste » basé sur la notion que le gouvernement a « l’obligation de garantir la liquidité et les finances des sociétés » alors que son seul rôle est de permettre aux marchés de fonctionner.

La reprise pourrait se faire attendre 4 ans

L’opinion de Minerd, qui voit une bulle, pourrait être démentie par les faits. Il y avait beaucoup de sceptiques au début du grand marché haussier qui a suivi la crise de 2008.

« Les bulles ont tendance à perdurer, et à gonfler plus qu’anticipé, a-t-il rappelé. Le timing est extrêmement compliqué. » Cela dit, il est loin d’être le seul investisseur sophistiqué à avertir que le pire n’est peut-être pas derrière nous.

53 % des gestionnaires de fonds internationaux estiment que nous sommes dans un épisode haussier d’un marché baissier global, d’après une étude de Bank of America. Mieux encore, 78 % d’entre eux pensent que les marchés sont surévalués. Aucun consensus aussi fort ne s’est dégagé sur cette question depuis la création du sondage de BoA en 1998.

Même la FED a averti que la reprise en V, sur laquelle les marchés parient, pourrait ne pas se matérialiser. « Tant que nous ne sommes pas certains que la maladie est sous contrôle, une reprise en bonne et due forme est improbable », a déclaré Powell au Congrès ce mardi.

Selon Minerd, on pourrait devoir attendre 3 à 4 ans avant de voir l’emploi et le PIB aux niveaux d’avant l’épidémie. Certains emplois, impactés par les changements de comportement des consommateurs, « sont perdus à jamais », a-t-il déclaré. Cela pourrait même déboucher sur un taux de chômage élevé « permanent ».

« Les gens ont complètement sous-estimé combien de temps cela allait durer », a-t-il conclu.