Les marchés des capitaux et des devises de la Chine se télescoperont inévitablement avec ceux des États-Unis et par extension avec ceux du monde entier. Les économistes se plaisent à marteler que quelque chose qui ne peut durer s’arrêtera. Ce truisme s’applique à la Chine.

L’idée même de tensions économiques en Chine peut paraître étrange. La Chine a émergé du chaos de la Révolution Culturelle pour devenir la première économie du monde en termes de parité de pouvoir d’achat, tout cela en seulement 35 ans. Même sur base du PIB nominal, mon indicateur favori, il s’agit de la seconde économie de la planète.

La croissance annuelle chinoise fut de 12% entre 2006 et 2008. Cette performance fut encore atteinte en 2010. Même au pire de la crise financière, en 2009, la croissance chinoise était encore supérieure à 6%. Elle a oscillé entre 6,7 et 8% entre 2011 et 2016. Ces taux de croissance sont extraordinaires par rapport aux 0-2% de croissance des économies développées, enregistrés depuis 2007.

Mais au-delà des apparences aguichantes, tout est loin d’être rose. La majorité de la croissance chinoise fut complètement artificielle. On n’en parlerait pas si la Chine utilisait des normes comptables plus rigoureuses.

Investissements en Chine : pour quel retour ?

Les investissements ont représenté environ 45% de la croissance chinoise. Dans les économies développées, ce chiffre est de 30%. Ce n’est pas un problème si les investissements ont des retours positifs et ne sont pas financés avec des excès de dette. Or la Chine ne remplit aucune de ces 2 conditions.

Une partie importante des investissements chinois ont été gaspillés dans la construction de villes fantômes. Ou encore engloutis dans des projets pharaoniques de prestige comme la gare sud de Nankin, qui a coûté des milliards de dollars et dont les 128 escalators ne sont presque jamais utilisés. En supposant que la moitié des investissements chinois sont du gaspillage, cela signifie que le PIB devrait être réduit de 22,5%. Une croissance de 6,7% correspondrait ainsi à une croissance de 5,2%, au mieux.

C’est encore pire si on prend en compte la quantité de dettes utilisée pour financer ce gaspillage. Les actifs des banques chinoises sont passés de 2,5 trillions à 40 trillions de dollars durant les 10 dernières années, soit une augmentation de 1500%. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg.

La plupart de la dette chinoise est hors bilan, comptabilisée dans des produits financiers similaires aux CDO qui ont fait couler Lehman Brothers en 2008, et dans des produits dérivés. Il existe un énorme secteur bancaire de l’ombre en Chine (garanties provinciales, crédits inter-sociétés et plans de transfert offshore, etc). Lorsque toute cette dette est comptabilisée, la Chine ressemble au plus grand Ponzi de l’histoire.

Dévaluation continue du yuan

Si la situation est si instable et gérée avec des effets de levier à outrance, pourquoi l’effondrement n’a-t-il pas déjà eu lieu ? La réponse est la suivante : la Chine est le plus grand manipulateur de devise de l’histoire. La Chine a exploité une méga dévaluation du yuan en 1994 pour rendre sa monnaie compétitive et doper ses exportations. Sa banque centrale est ensuite intervenue entre 1994 et 2006 pour faire perdurer la faiblesse de sa monnaie.

Ces manipulations de devises, longues de 12 ans, ont permis à la Chine de construire ses usines, de créer de l’emploi, d’accumuler des réserves de dollars et de développer son système bancaire. Bien sûr, la majorité de cette croissance s’est faite aux dépens de l’emploi manufacturier aux États-Unis, des millions de postes ayant été perdus durant cette période. Ce n’est qu’après 2007, et des pressions politiques américaines intenses, que la Chine a permis l’appréciation du yuan à des niveaux plus raisonnables, conformes à sa production et aux accords commerciaux en vigueur.

Mais aujourd’hui, la Chine a recours à ses vieilles tactiques. Depuis 2014, elle a favorisé la dévaluation du yuan, de 6 yuan pour un dollar à 6,9. Aujourd’hui, le yuan se prépare à franchir la barre clés de 7 yuans pour un dollar.

La différence entre 1994 et aujourd’hui, c’est qu’aujourd’hui les États-Unis suivent la situation. En particulier, le président élu Trump a menacé la Chine de la qualifier de « manipulatrice de devises » le premier jour de son investiture, le 20 janvier 2017.

Cette escalade de la tension de la guerre des devises arrive dans un contexte de risque accru d’un conflit armé avec la Chine. Peu de temps après son élection, Trump a reçu un appel téléphonique de félicitations de la part du président de Taïwan. Cela peut sembler comme une formalité de courtoisie, mais pas pour le parti communiste chinois.

Pékin considère Taïwan comme une « province dissidente », et non une nation souveraine. Les politiciens américains ont pris l’habitude d’esquiver ce dossier, mais pas Trump. Non seulement il a discuté avec le président de Taïwan, mais il a même remis en question la politique d’une seule Chine dans un tweet.

Les actions de Trump ont fait retentir la sonnette d’alarme à Pékin. Les dirigeants ont donc décidé d’envoyer un message à Trump en volant l’un des drones sous-marins de la Navy qui opèrent dans les eaux des Philippines, bien loin des eaux de la mer de Chine du Sud revendiquées par Pékin.

Le drone a été restitué, mais l’avertissement a été lancé. Les tensions géopolitiques entre la Chine et les États-Unis sont très clairement en recrudescence (note : on vient d’apprendre qu’une « flottille » chinoise, avec porte-avions, vient de se balader dans des eaux contestées, au large de Taïwan).

Une nouvelle méga dévaluation à venir ?

Alors que la Chine se dirige vers une crise du crédit, et que les relations politiques sino-américaines se détériorent, quid du futur du yuan et de la guerre des devises ?

La première chose à noter, c’est qu’une nouvelle méga dévaluation chinoise a déjà commencé. Bien sûr, ils ne vont pas agir d’un coup, comme ils l’ont fait en 1994. Ils le font au fur et à mesure. Néanmoins, la simple dévaluation de 3% du 10 août 2015 fut suffisante pour faire baisser les marchés américains de 11% dans les trois semaines suivantes.

Une méga dévaluation de 10% aujourd’hui, moins d’un tiers de ce qu’avait fait la Chine en 1994, ferait chuter en quelques jours la bourse américaine de 30%, en raison des perspectives de guerre commerciale ouverte avec la Chine.

Quelles sont les chances d’assister à une telle dévaluation ? Cela pourrait être une question de semaines. La baisse récente du yuan n’est pas due à des manipulations du gouvernement, mais à la fuite des capitaux chinois. Les Chinois fortunés tentent de sortir leur argent du pays aussi vite que possible car ils craignent l’émergence de cette méga dévaluation (note : voir le cours de Bitcoin).

Des réserves chinoises qui fondent comme neige au soleil

La Chine a consommé un trillion de dollars de réserves durant les deux dernières années afin de satisfaire la demande en dollars émanant de cette fuite des capitaux. Les obligations américaines dans le portefeuille de la Chine ont baissé de 1 265 trillions de dollars en novembre 2015 à 1 115 trillions de dollars en octobre 2016, d’après les statistiques du Trésor.

Globalement, les réserves de la Chine sont passées d’environ 4 trillions de dollars en 2014 à 3 trillions aujourd’hui. De ces 3 trillions, environ 1 trillion n’est pas liquide, tandis qu »un trillion de dollars sera nécessaire pour renflouer les banques chinoises durant la crise du crédit à venir. Cela ne laisse qu’un trillion de dollars à disposition pour défendre le yuan. La fuite des capitaux se poursuit en Chine au rythme de 100 milliards de dollars par mois. Cela signifie que la Chine sera à sec d’ici un an.

Si la Chine veut éviter la banqueroute, elle n’a que 3 options, selon la « trinité impossible » de Mundell. Elle peut relever ses taux pour défendre sa monnaie, mettre en place des contrôles des capitaux ou encore dévaluer le yuan.

Relever les taux tuera l’économie et accélérera la crise du crédit. Les contrôles des capitaux étrangleront les investissements directs étrangers et forceront la fuite des capitaux à travers des canaux illégaux, sans pour autant l’arrêter. La méga dévaluation est la solution la plus simple.

Pourquoi la Chine n’a-t-elle pas encore agi ? Notamment pour éviter d’être qualifiée de manipulatrice des devises par les États-Unis. Cela pourrait entraîner des représailles, par exemple sur les droits de douane. C’est pourquoi la Chine agit progressivement, sans faire de vagues.

Mais voilà que Donald Trump affirme qu’il qualifiera la Chine de manipulatrice quoi qu’il arrive. Peut-être par l’un des décrets présidentiels qu’il signera le jour de son investiture. Si Trump devait le faire, et il en est capable, la Chine n’aurait plus de raison de reporter sa méga dévaluation.

Les conséquences d’un tel scénario feraient de la correction de 2015 de 11% une balade en forêt. Les marchés mondiaux seront affectés. Les États-Unis souffriront, mais la Chine encore plus.

Article de Jim Rickards, publié le 22 décembre 2016 sur DailyReckoning.com

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