De nouvelles règles bancaires, faisant partie d’un vaste accord international connu sous le nom de Bâle III, entreront en vigueur lundi et marqueront un grand changement pour les banques européennes et leurs transactions concernant l’or. Cela pourrait modifier le paysage de la demande et des prix des métaux précieux.

Comme de nombreuses réformes mises en place au cours de la dernière décennie visant à éviter une autre crise financière mondiale, les nouvelles règles bancaires s’accompagnent de controverses et de mises en garde.

L’or alloué, sous forme physique, sera essentiellement classé comme un actif à risque zéro en vertu des nouvelles règles. Mais l’or non alloué ou or papier, avec lequel les banques traitent généralement le plus, ne le sera pas. Ce qui signifie que les banques détenant de l’or papier doivent également prévoir des réserves supplémentaires pour les couvrir, a déclaré Brien Lundin, rédacteur en chef de Gold Newsletter. Ces nouvelles exigences de liquidité visent à « empêcher les traders et les banques de dire qu’ils ont l’or alors qu’ils ont du papier, ou d’avoir plus d’un propriétaire pour l’or non alloué ».

En réponse à la crise financière de 2008, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, qui établit les normes de réglementation des banques, a développé ce qu’on appelle Bâle III. Il est défini par la Banque des règlements internationaux comme un ensemble de mesures convenues au niveau international qui visent à renforcer la réglementation bancaire, la supervision et la gestion des risques.

Dans son essence, Bâle III est un changement de régime pluriannuel qui vise à prévenir une autre crise bancaire mondiale en obligeant les banques à détenir des actifs plus stables et moins d’actifs jugés risqués.

Dans le cadre du nouveau régime, l’or physique ou alloué, comme les lingots et les pièces, sera reclassé d’un actif de niveau 3, la classe d’actifs la plus risquée, à une pondération à risque zéro de niveau 1 – le mettant « à pied d’égalité avec les espèces et les devises en tant que classe d’actif », a déclaré Adam Koos, président de Libertas Wealth Management Group.

Étant donné que l’or physique aura un statut zéro risque, cela pourrait amener les banques du monde entier à en acheter davantage, a annoncé Koos, ajoutant que les banques centrales ont déjà intensifié les achats d’or physique à conserver dans les coffres des institutions, et non détenus sous forme non allouée ou papier.

L’or alloué appartient directement à un investisseur, sous forme physique, telle que des pièces de monnaie ou des lingots. L’or non alloué, ou les contrats papier, appartient souvent à des banques, mais les investisseurs ont droit à cet or et évitent les frais de stockage et de livraison.

En vertu des nouvelles règles, l’or papier serait classé comme plus risqué que l’or physique et ne sera plus considéré comme un actif égal aux lingots ou aux pièces d’or.

Exigences de liquidité

Dans le cadre des réformes de Bâle III, les banques européennes seront confrontées à de nouvelles exigences de liquidité, connues sous le nom de Net Stable Funding Ratio (NSFR). (…)

Les réglementations NSFR seront introduites dans les banques de l’Union européenne le mardi 1er juin, aux États-Unis le 1er juillet et au Royaume-Uni le 1er janvier 2022, selon Alasdair Macleod, responsable de la recherche chez Goldmoney Inc.

« Cela affecte tous les passifs et actifs bancaires » et l’objectif est de s’assurer que les actifs bancaires sont « correctement capitalisés et que les retraits des déposants n’entraîneront pas l’insolvabilité bancaire et la transmission du risque systémique », a déclaré Macleod.

Les nouvelles règles auront principalement un impact sur les banques et leur or non alloué, car la majorité des investisseurs réguliers ont tendance à détenir de l’or physique alloué, selon les analystes.

Les nouvelles exigences en matière de ratio de liquidité signifient que les banques pourraient « devoir mettre de côté davantage de fonds pour couvrir leur or non alloué », ont écrit les analystes de BofA Global dans une note de lundi. L’augmentation des besoins de financement pour l’or non alloué signifie que l’institution financière « pourrait réduire son activité » ou « la maintenir en prévoyant les capitaux nécessaires », ont expliqué les analystes de BofA.

Ces 2 options ont des implications légèrement différentes pour le marché de l’or, « allant d’une réduction de la liquidité à une augmentation des coûts pour les acteurs du marché », ont déclaré les analystes. Quoi qu’il en soit, ils ne croient pas que cette dynamique soit haussière pour l’or. En outre, il est « peu probable que les banques remplacent l’utilisation d’or non alloué par de l’or acheté directement ».

Pas que de bonnes nouvelles pour l’or

Dans le passé, les banques ont tradé de l’or non alloué, car cela facilite les transactions. L’or non alloué « constitue le moyen le plus pratique, le moins cher et… le plus efficace pour effectuer des transactions entre professionnels, plutôt que d’avoir à déplacer des lingots physiques à chaque transaction », a rappelé Ross Norman, directeur général de Metals Daily. Il s’agit principalement d’un « mécanisme interbancaire » pour aider les participants professionnels dans la compensation et le règlement des transactions.

En vertu des règles NSFR, cependant, « l’or non alloué entre dans le bilan des banques impliquées » et les règles « proposent de rendre beaucoup plus coûteux pour les banques la détention de soldes en or non alloués », a expliqué Norman.

Ainsi, les règles « rendront le coût de la compensation et des règlements des transactions plus chers. De plus, le prêt de métaux précieux à des homologues industriels, y compris les mineurs, les raffineurs et les fabricants, deviendra beaucoup plus cher à mesure que les coûts seront poussés vers le bas de la chaîne de valeur », a-t-il spécifié.

En conséquence, « les changements proposés rendront le trading de l’or beaucoup plus cher pour tout le monde », même pour ceux qui achètent des lingots physiques. Cela pourrait réduire la taille du marché, selon Norman. Dans l’ensemble, les changements sont « rétrogrades » et peuvent « rendre l’or moins pertinent en tant qu’actif d’investissement ».

Si le coût du financement d’un courtier en or physique de son stock de pièces et de lingots, par exemple, double, il est probable qu’il détiendra moins de stocks et facturera des primes plus élevées pour ses produits, a précisé Norman. « Si les marchés financiers venaient à être sous tension et que la demande d’or augmentait fortement, alors l’offre physique serait considérablement limitée. Simultanément, cela rendrait l’or moins attrayant en tant que valeur refuge », a-t-il affirmé.

Dans une lettre récente sur l’impact du NSFR sur le marché des métaux précieux, le LBMA et le World Gold Council ont notifié que les propositions au titre du NSFR « ne tiennent pas compte de l’effet dommageable que les règles auront sur le système de compensation et de règlement des métaux précieux, sapant potentiellement complètement le système, et sur l’augmentation des coûts de financement de la production de métaux précieux ». (…)

La grande majorité des échanges ont lieu sur le marché des lingots de Londres, a déclaré Lundin de Gold Newsletter. La réglementation devrait s’appliquer au Royaume-Uni au début de la nouvelle année, de sorte que « l’impact réel ne sera pas visible ce mois-ci ».

Bâle III : impact sur le marché de l’or ?

Les analystes, quant à eux, ont des avis différents sur l’impact de Bâle III aura sur le marché de l’or. Alasdair Macleod de Goldmoney s’attend à ce que les banques soient « découragées » de trader des contrats à terme sur l’or à Londres et des contrats à terme sur le Comex.

Cela pourrait engendrer « une plus grande volatilité des prix et, à la marge, certains clients de banques qui ont de l’or et de l’argent non alloué chercheront à maintenir leur exposition en achetant des lingots physiques », a-t-il précisé.

Ces nouveaux changements interviennent également à un moment où l’inflation monétaire accélère. Il est « très probable » que la combinaison des deux événements « fera augmenter les prix, » a indiqué Macleod. La hausse dépendra de la faiblesse du dollar en termes de pouvoir d’achat, a-t-il ajouté.

Norman, cependant, pense que les nouvelles règles « n’auront aucun effet significatif sur les prix de l’or… le coût des transactions sur ces marchés sera le seul impact ».

Mais Lundin de Gold Newsletter semble résumer le mieux la situation : « La gamme d’opinions sur la question va de l’absence d’effet d’un côté au chaos absolu de l’autre, parsemée d’une attitude ‘je le croirai quand je le verrai’. »

La mise en œuvre des règles de Bâle III a été reportée tellement de fois qu’il subsiste un doute persistant quant à l’adoption des règles, a-t-il déclaré. Lundin a également dit qu’il ne pense pas que le marché de l’or et les banques centrales permettraient à ces réglementations d’interférer avec le système qu’ils ont mis en place, tout en espérant se tromper.

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