L’UE traverse une crise existentielle profonde, même les technocrates européens en sont désormais bien conscients. L’Europe sera encore plus supranationale ou ne sera plus : c’est en substance l’aveu de Guy Verhofstadt, probablement le champion toutes catégories de l’Européisme. Mais le temps presse : profitant de l’endiguement fragile des partis antieuropéens, notamment suite à l’élection d’Emmanuel Macron en France, la Commission va dévoiler début juin un grand plan visant à consolider un projet européen en panne. En voici les grandes lignes, grâce à des documents internes récupérés par le Frankfurter Allgemeine Zeitung qui ont fait l’objet d’un papier d’Ambrose Evans-Prichard (source) :

La Commission européenne est sur le point de dévoiler des plans radicaux en faveur d’une union fiscale de la zone euro, qui prévoit la création d’un Trésor européen embryonnaire ayant le pouvoir de combattre les récessions économiques et de gérer les chocs dans les régions les plus touchées.

L’autorité budgétaire européenne sera appuyée par une caisse de chômage commune européenne, similaire à la sécurité sociale américaine. La proposition contient un niveau de risque partagé sans précédent pour les membres de la zone euro, tout en marquant un net changement de philosophie après des années d’austérité rigide et de sous-investissements.

Valdis Dombrovskis, le commissaire européen à l’euro, a déclaré qu’il y aurait un « fonds de stabilisation » disposant de ressources pour aider les zones en difficulté à échapper à la récession. « Nous offrirons un plus grand rôle à la consolidation fiscale de l’ensemble de la zone euro lorsque nous déterminons nos politiques », a-t-il déclaré à l’occasion du sommet européen des affaires de Bruxelles.

Il s’agit d’un aveu tardif : le souhait de réduire la dette pendant la crise de la zone euro a découlé sur une dynamique de contraction, entraînant tout le bloc dans un vortex déflationniste qui s’est achevé en une « décennie perdue » tout en s’avérant être contre-productif, même lorsqu’il s’agissait de contrôler les niveaux de dette, le but initial.

évolution de la dette des pays européens« C’est quelque chose qui va faire retentir les sonnettes d’alarme dans le nord de l’Europe », a déclaré Guntram Wolff, directeur du think tank Bruegel de Bruxelles.

« Peu importe les modalités prévues, cela débouchera sur des transferts fiscaux. Toute forme d’assurance mène à des risques moraux qu’il faut ensuite pouvoir gérer », a-t-il déclaré.

La réflexion tant attendue de la Commission quant à la façon de relancer l’union monétaire sur de meilleures bases, qui est attendue pour début juin, en appellera à la création d’un « fonds pour la protection des investissements publics durant les phases de récession », d’après les documents qui ont fuité jusqu’au Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Ce fonds serait sous la « supervision démocratique » du Parlement européen, afin de lui conférer une légitimité cruciale au niveau fédéral. Cela permettrait de tenir en respect l’Eurogroupe tout-puissant, qui gère actuellement en solo la zone euro en n’obéissant qu’à sa propre loi, en opérant dans la plus grande opacité et n’ayant aucun compte à rendre aux électeurs.

Même si ce nouveau fonds ne serait pas exactement un Trésor européen ou un ministère des Finances, il s’agirait d’un grand pas dans cette direction si l’idée devait être acceptée par l’Allemagne et les autres puissances créditrices du Nord.

M. Dombrovskis a bien pris la peine d’insister sur le fait que ce « grand compromis » n’est pas un cadeau fiscal pour les États imprévoyants les plus endettés. « Chaque État membre est responsable de la garantie de la stabilité de ses finances publiques. Lorsqu’il y a mutualisation du risque, celui-ci doit être également réduit », a-t-il déclaré.

Pourtant, ce plan représente un grand revirement de politique. Il est similaire aux propositions faites par le président français Macron durant la campagne présidentielle. Ce qui suggère que les élites politiques de Bruxelles sont en train de s’aligner sur lui, comme les Italiens et les Espagnols.

La chancelière allemande Angela Merkel doit désormais jouer serré. Elle a refusé l’idée d’obligations européennes, soit de la mutualisation de la dette, en répétant qu’il faudrait lui passer sur le corps pour que cela arrive tout en ayant ouvert légèrement la porte à une sorte d’émission future de dette.

Mais même ce dernier point est un champ de mines légal. La cour suprême allemande a déjà tranché, toute formule impliquant des obligations budgétaires en dehors du contrôle du Bundestag est inconstitutionnelle.

Hans-Werner Sinn, ancien patron de l’institut allemand IFO, affirme que la zone euro glisse rapidement vers une union de transfert, ce qui est un anathème pour la plupart des électeurs allemands. « Nous allons voir des régions devenir dépendantes des transferts d’autres régions. La baisse de la productivité est déguisée », a-t-il déclaré.

Guy Verhofstadt, meneur du camp ultra intégrationniste du Parlement européen et négociateur en chef du Brexit, affirme que l’Union européenne est paralysée à moitié en raison de sa structure actuelle. Elle est incapable de répondre aux crises, dérivant d’un désastre à l’autre. « Soit nous réglons ces problèmes, soit l’Union européenne s’effondrera », a-t-il déclaré.

Mr Verhofstadt affirme que les États-Unis ont géré la crise Lehman très rapidement avec une « fusée à trois étages » : en mobilisant d’énormes ressources pour nettoyer le système bancaire (avec un profit pour le contribuable) ; en lançant des stimulations fiscales contre cycliques ; et en inondant le système financier des liquidités de l’assouplissement quantitatif de la FED.

« En Europe, on s’est contenté de parler. Nous faisons toujours trop peu, trop tard. Lorsqu’on s’est enfin mis au QE ce fut pour éviter la déflation. Nous avons d’énormes problèmes avec nos institutions », a-t-il déclaré.

« Nous n’avons pas assisté à un effet domino suite au Brexit, nous n’avons pas eu de Nexit aux Pays-Bas, ni d’Auxit ou de Frexit, mais cela ne signifie pas pour autant que le problème est résolu.

Les gens sont très critiques envers l’UE, et non sans raison. Il n’y a pas du tout d’Union. Il s’agit d’une confédération d’États sur base de la règle de l’unanimité. L’Union européenne n’existe pas », a-t-il conclu.