Dimanche dernier, nous avons offensé les piétés en affirmant que les démocraties, avec leurs politiques à court terme, tendent à accumuler la dette.
En réponse à cela, un lecteur nous a envoyé le message suivant :
« L’ignorance dévouée des pseudo-intellectuels arrogants et leur refus de suivre un cours d’économie concernant l’utilisation du dollar est frappante ! C’est la raison pour laquelle Waren Buffett (sic) sourit à chaque fois que des «experts financiers» s’expriment de façon démagogique à propos de la dette.
Félicitations, Daily Reckoning, pour la constance de votre ignorance ! »
C’est avec un grand honneur que nous acceptons les félicitations de Tom, la constance est, de nos jours, une denrée rare, même quand il s’agit d’ignorance.
Bien sûr, nous ne remettons pas en question l’utilité du dollar, ou même de la dette… Comme les cofondateurs Bill Bonner et Addison Wiggin l’ont écrit dans leur best-seller L’Empire de la dette, les États-Unis ont bâti leur empire sur le crédit. Seul un système basé sur l’argent papier et la dette pouvait financer les grandes guerres, les grands progrès sociaux… ainsi que les gros boums économiques. L’argent papier fut créé à des fins civiques. Il a un cœur, on fait ce qu’on lui dit de faire. Qu’on lui ordonne de financer une guerre, un gâchis… Il obtempère.
« Peu importe ce dont tu as besoin, je serai là », semble-t-il dire. L’argent papier est prêt à sacrifier sa valeur pour le bien commun. Le dollar a perdu environ 80 % de sa valeur depuis l’annulation par Nixon de la convertibilité du dollar en or.
Le métal jaune, de son côté, se soucie autant de la population qu’un chat de son maître. Le bien commun est une notion qui lui est étrangère. Il est dénué de compassion humaine. Il évolue à son propre rythme. Il n’est pas du tout adapté aux guerres. « Vas-y, je te regarde », semble dire l’or au dollar.
Et contrairement à son collègue papier prêt à se sacrifier, il conserve sa valeur, et même plus. Sa quantité limitée constitue donc une barrière au crédit. Et comme les bien-pensants nous le disent, le crédit doit croître de façon permanente afin de « lubrifier les rouages de l’économie ».
En résumé, voici ce qu’expliquent Messieurs Bonner et Wiggins :
« Le problème de l’or est qu’il tourne son dos aux bienfaiteurs du monde, à ceux qui veulent l’améliorer et aux bâtisseurs d’empire… la beauté de l’or est qu’il est sourd. Il ne rit ou n’applaudit jamais. »
C’est aussi notre cas. Nous ne rions pas, nous n’applaudissons pas, ou d’autres choses de ce genre. Nous sommes de simples observateurs stupéfiés par ce que nous voyons, et nous réfléchissons.
Nous nous demandons, par exemple, quelle est la quantité de dette que l’Empire américain peut absorber avant que l’intégralité de l’entreprise soit en difficulté.
La dette nationale a plus que doublé depuis 2010. Elle se situe aujourd’hui au-delà de 21 trillions de dollars. La dette totale publique et privée est d’environ 68 trillions de dollars aux États-Unis. La productivité a-t-elle suivi la tendance ? Hélas, non :
Le PIB américain réel a atteint une moyenne de 2,6 % depuis la fin de la grande récession, bien en dessous de la moyenne habituelle de 4,3 % depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cela fait également 11 années consécutives que nous n’avons pas connu une croissance réelle du PIB de 3 % ou plus. Et la 12e année se prépare.
Un dollar de dette n’a plus les mêmes effets qu’auparavant, lorsque l’endettement était mineur. Imaginez, si vous en êtes capable, une économie qui n’est pas écrasée par le poids de sa dette. Dans un tel contexte, le miracle du multiplicateur du crédit pourrait se justifier. Un dollar de dette pourrait transformer 1 l d’eau en 1 l de vin. Mais la dette ne cesse de grimper… à chaque nouvelle goutte nous obtenons davantage d’eau et moins de vin.
Tôt ou tard, le moment arrive, lorsqu’il n’y a plus moyen d’obtenir du vin… en fait, tout est en train de tourner au vinaigre.
Les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont montré que la croissance économique annuelle baisse de 2 % lorsque le ratio dette/PIB atteint les 60 %. Lorsque ce ratio atteint 90 %… la conclusion est qu’un dollar de dette génère moins d’un dollar d’activité.
La dette ne permet plus d’avancer, elle nous fait reculer. Quel est le ratio d’endettement actuel des États-Unis ? Environ 105 %. Quand les États-Unis ont-ils dépassé la ligne rouge des 90 %, soit lorsque le vin commence à tourner au vinaigre ? Apparemment en 2010, peu après le grand tournant.
La société de conseil Baker & Co. affirme qu’après 2008, « quelque chose s’est brisé dans notre économie ».
Avant 2008, ce qu’ils appellent le véritable PIB avait toujours grimpé de concert avec la dette grandissante. D’après Baker, le véritable PIB tombe tandis que la dette ne cesse d’augmenter.
Mais de quoi s’agit-il vraiment ?
Dans les calculs officiels du PIB, les dépenses du gouvernement fournissent du carburant à l’économie. On ne fait pas la distinction entre l’argent qui est collecté via la fiscalité et celui qui est emprunté. Baker affirme que l’argent qui est emprunté par le gouvernement devrait être un jour remboursé. Il ne s’agit donc pas d’un revenu. Il s’agit d’une stimulation artificielle :
« Nous suggérons que la dette du gouvernement ne fait pas partie du «revenu national» car il ne s’agit pas d’un revenu. Il s’agit de crédit, et cet argent emprunté doit être tôt ou tard remboursé. La dette est une stimulation artificielle, il ne s’agit pas d’un revenu national. Le gouvernement devra rembourser soit en augmentant la fiscalité, via l’inflation/une devise plus faible, la réduction des services ou une combinaison de ces facteurs. »
Baker calcule donc ce qu’ils pensent être un indicateur véritable du PIB. Contrairement aux chiffres du gouvernement, il prend en compte la dette. Quelle est la trajectoire de la croissance lorsque l’on soustrait les artifices ? Voici la réponse choquante :
« Observez ce graphique », grogne Baker, « et dites-moi si vous pensez que l’économie s’est redressée ». (…)
Depuis 2007, la véritable croissance a enregistré une baisse moyenne de 7,5 % chaque année. Et si ces stimulations devaient être ôtées, la croissance baisserait de 6 à 7 % vu qu’il s’agit du poids de l’argent emprunté et dépensé par le gouvernement. (…)
Simultanément, le dernier rapport du FMI dresse un portrait morose de ce qui nous attend. Le directeur du FMI Vitor Gaspar affirme que « les États-Unis se démarquent » par rapport aux autres économies avancées en étant le seul pays planifiant d’augmenter le fardeau de sa dette dans les années à venir.
Le coupable est la réforme fiscale de Trump ainsi que l’augmentation massive des dépenses de l’État. Le CBO anticipe des déficits annuels de plus d’un trillion de dollars jusqu’à au moins 2028.
Nous ne pouvons que conclure que quelque chose est toujours cassé dans l’économie, et que cela ne s’arrangera pas dans un futur proche. Il semble que nous tenons le tigre par la queue. Il faut constamment injecter de la dette dans le système pour maintenir l’illusion de la croissance. Mais cette dette est un poids pour l’économie qui ne produit plus vraiment d’effets. Ne serait-il pas plus sage d’arrêter tout cela maintenant pour éviter d’énerver encore plus le tigre ? Il est peut-être temps de le lâcher. Notre seul conseil est le suivant : préparez-vous.
Source : Daily Reckoning