La relance économique est bel et bien là. Les prix des logements aux États-Unis augmentent plus rapidement qu’au sommet de la bulle des subprimes il y a 15 ans.

Les marchés obligataires ont interprété le premier coup de frein rhétorique de la Réserve fédérale en juin comme s’il s’agissait d’un véritable resserrement monétaire. Les rendements des bons du Trésor américain à 30 ans ont chuté de près de 40 points de base en peu de temps. Les partisans invétérés d’une politique monétaire laxiste accusent déjà la FED d’une « erreur de politique » pour avoir signalé un quelconque changement.

Pourtant, quelle que soit la mesure historique ou scientifique, cette politique monétaire reste scandaleusement accommodante et bientôt intenable. Les taux d’intérêt sont toujours nuls et la FED absorbe toujours 120 milliards de dollars (87 milliards de livres sterling) d’obligations chaque mois, bien que l’administration Biden enregistre un déficit de 3.000 milliards de dollars, des chiffres dignes d’une période de guerre (15,5 % du PIB). L’expansion budgétaire est proportionnellement plus importante en termes de pourcentage du PIB que celle de la Great Society de Lyndon Johnson des années 1960.

Hausse record de l’immobilier

L’indice immobilier américain (FHFA) progresse à un rythme record de 15,7 %. Cela se répercutera sur la composante « logement » de l’inflation des prix à la consommation avec un décalage de plusieurs mois. Le logement représente 42 % du CPI. « La panique de l’inflation, c’est tellement dépassé« , a déclaré le prix Nobel Paul Krugman. Cela dépend de ce que vous entendez par inflation et de ce que vous entendez par « transitoire », le mantra de l’establishment néo-keynésien.

La FED a sans aucun doute raison de dire que la hausse de 5 % du CPI du mois dernier a été causée par des goulots d’étranglement de l’offre et les effets de base de la pandémie, bien qu’elle ne l’ait pas anticipée. Mais si les monétaristes ont raison, la suite va mettre les nerfs à rude épreuve. Ils parient que l’inflation sera toujours à un niveau inquiétant d’ici la fin de l’année et restera importante jusqu’en 2022, et ils ont raison jusqu’à présent.

De 5 à 10 % d’inflation en 2022 ?

Tim Congdon et Juan Castañeda, de l’Institut de recherche monétaire internationale, pensent que l’inflation américaine oscillera entre 5 et 10 % jusqu’à la fin 2022, sur base de la quantité de monnaie créée depuis le début de la pandémie (environ 4.500 milliards de dollars).

Wells Fargo affirme que les ménages américains ont amassé 2.400 milliards de dollars d’épargne excédentaire. Cet argent supplémentaire est gelé depuis 15 mois. Il prendra feu une fois que les dépenses reprendront et que la vélocité de la monnaie se normalisera.

Soit la FED ne fait rien et laisse sortir le génie de l’inflation de la bouteille, provoquant la déconfiture du marché obligataire, soit elle prend le taureau par les cornes dans un effort tardif pour convaincre les investisseurs que la hausse des prix est une anomalie Covid ponctuelle et non le début d’un spirale des prix.

Le dilemme est que tout signal sérieux de resserrement monétaire à ce stade conduira à un choc sur les marchés. Les prix des actifs sont déjà à des niveaux extrêmes de fin de cycle. Michael Darda, de MKM, affirme que le ratio prix-ventes est supérieur de 30 % au pic du cycle précédent pour le S&P 500.

La FED est prise dans ce que la Banque des règlements internationaux appelle un « piège de la dette ». Elle est dans l’incapacité de resserrer la vis autant que nécessaire par peur de faire vaciller l’édifice des prix des actifs. Et de plus en plus par peur de déstabiliser également les dettes publiques, vu que l’effet secondaire d’un QE est de rendre le coût de la dette plus sensible aux hausses de taux.

« À un moment donné, cela pourrait commencer à mettre en danger les prix et la stabilité financière, et éventuellement menacer la crédibilité de la banque centrale. Si les taux d’intérêt revenaient aux niveaux prévalant au milieu des années 90, les niveaux d’endettement actuels signifieraient que les coûts médians des services publics dépasseraient les pics précédents de la 2e guerre mondiale« , a-t-il déclaré dans son rapport annuel cette semaine.

La BRI prévient que les marchés pourraient prendre les choses en main et devancer la FED en cas d’inflation plus élevée qu’attendu, ce qui entraînerait la « fermeture rapide et désordonnée des positions prises dans l’hypothèse de conditions monétaires toujours accommodantes », soit un euphémisme pour désigner un krach boursier.

La BRI a déclaré que cela pourrait arriver si l’épargne refoulée des ménages inondait soudainement l’économie, ou si le multiplicateur budgétaire s’avérait bien plus puissant que prévu. Les anticipations d’inflation pourraient soudainement devenir détachées pour nous ramener à l’ancien régime des années 1970 et 1980, avant que le numérique et la mondialisation cassent l’inflation salariale occidentale.

Retour durable de l’inflation ?

La grande modération du dernier quart de siècle a suivi l’inclusion soudaine et irremplaçable à l’économie mondiale de 800 millions de travailleurs faiblement rémunérés de Chine et d’Europe de l’Est. Cette impulsion déflationniste est épuisée. Les salaires, dans ces pays, ne sont plus si bas.

Les monétaristes peuvent se tromper. Ils ont peut-être sous-estimé l’effet contraire de la Chine au cours des derniers mois alors que les régulateurs restreignent le marché immobilier chinois surchauffé et que l’impulsion du crédit devient négative. La BRI a inclus un scénario de rechute possible dans son rapport, signalant le risque d’une reprise avortée alors que les conséquences à long terme de la pandémie reprennent le dessus dans un contexte d’expiration des mesures spéciales prises.

Ce qu’on n’aura pas, c’est une nouvelle série de confinements en Europe ou en Amérique en raison du variant delta. L’Australie souhaitera peut-être protéger son statut sans Covid avec des mesures extrêmes. Le reste du monde développé a évolué. Le Royaume-Uni a montré aux autres que la vaccination fonctionne à merveille, brisant suffisamment les hospitalisations pour apprivoiser la pandémie.

Oui, le variant se répand dans toute l’Europe avec un retard d’environ six semaines. Mais au moment où cela deviendra exponentiel, l’Europe aura atteint un niveau de vaccination similaire. Le bloc du Club Med va tout simplement traverser cette période à la dure. Comme Olivier Veran, le ministre français de la Santé, l’a dit cette semaine, une fois les personnes vulnérables vaccinées, le Covid-19 a « un impact zéro sur la santé, et donc sur le plan économique et éducatif ».

La véritable menace économique se situe de l’autre côté de l’équation. Il y a trop d’argent pour trop peu d’offre. La FED et ses collègues sont attachés au nouveau modèle keynésien « Clarida-Gertler » qui repose beaucoup sur la science douce des anticipations d’inflation tout en ignorant systématiquement les chiffres concrets.

L’idéologie les aveuglera pour les empêcher de percevoir toute l’étendue de la menace inflationniste jusqu’à ce qu’elle soit trop évidente pour être niée. La FED sera alors contrainte d’agir. La BRI n’a pas mâché ses mots : plus les banques centrales tarderont, pire ce sera.

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