Fin décembre, des manifestations violentes ont secoué l’Iran. Les autorités du pays, tout en reconnaissant la légitimité des revendications, ont dénoncé une main étrangère dans leur déclenchement. Que cacheraient réellement ces évènements ?

Depuis plusieurs jours, l’Iran est secoué par des manifestations revêtant des revendications sociales et économiques. Cependant, les autorités iraniennes, tout en reconnaissant la légitimité des demandes des manifestants et leur droit à les exprimer, ont néanmoins pointé du doigt l’intervention de puissances étrangères, les États-Unis et le Royaume-Uni, dans la manipulation des foules, dans le but de déstabiliser le pays.

On serait tenté d’expliquer ces évènements avec la même grille de lecture que les Printemps arabes, mais à lire attentivement la nouvelle stratégie américaine de sécurité nationale, il apparaît clairement que les États-Unis considèrent toujours l’Iran comme un pays menaçant ses intérêts vitaux et plus encore, la Chine et la Russie. Viendrait alors la question cruciale: qu’est-ce qui peut expliquer la vision de Washington envers ces pays, et y’aurait-t-il un lien entre eux?

La réponse est que les pays désignés, et les États-Unis, seraient les éléments clés d’une guerre financière globale, vu leurs positions dans l’économie mondiale, et en particulier à cause du fait que la Chine, la Russie et l’Iran sont en train de façonner une énorme zone monétaire alternative à celle dominée par le dollar, malgré que ce dernier soit aussi parfois attaqué sur son programme balistique.

Alors quels seraient les vrais dessous des cartes du théâtre géopolitique qui se déroule sous nos yeux?

Les limites du cap défini aux États-Unis et les évènements en Iran

Les États-Unis se seraient lancés dans un projet visant à restaurer leur primauté économique et militaire par le biais du quasi protectionnisme que la stratégie américaine de sécurité nationale, «America First», a clairement étayé. Cependant, sans le statut de monnaie de réserve globale du dollar, les objectifs désignés par le Président Trump n’auraient aucune chance d’être atteints. La raison est que la dette fédérale est devenue abyssale en atteignant le plafond des 20.000 milliards de dollars, et que l’aile fondamentaliste financière républicaine, représentée dans le Freedom Caucus, est bien déterminée à bloquer toute demande de la Maison-Blanche de relever ce dernier. Alors, quelle est la solution dont disposerait Washington pour ramener l’argent dans les caisses du Trésor américain, et forcer ensuite le Congrès à voter le budget, donc un déficit, dont le Président Trump a besoin pour financer d’abord les intérêts de la dette, puis les dépenses militaires et d’investissements dans les infrastructures qu’il a prévues, avec comme clé le maintien des taux d’intérêt à un niveau bas voire nul ?
La réponse est une ruée sur les bons du Trésor américain sans risque, chose que les États-Unis ont toujours réussi à susciter en provoquant des crises militaires majeures, pour pouvoir garder les taux d’intérêt bas d’un côté, et ramener les dollars se trouvant hors de leur pays de l’autre. Mais, actuellement, pour que cela puisse marcher, il faut que le dollar garde sa place de monnaie de change dominante sur les marchés internationaux, ce qui est loin d’être gagné.
En effet, des pays comme la Chine, la Russie et l’Iran, qui ont des intérêts communs et qui ne veulent pas que leurs économies soient les victimes de la politique décrite ci-dessus, s’organisent pour s’émanciper de la sphère dollar, en tentant de créer un système financier alternatif dans lequel ils feront leurs échanges avec leurs monnaies nationales. Rappelons que les dirigeants Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi avaient tenté d’aller dans ce sens avant que leurs deux pays respectifs ne soient envahis. L’armée américaine n’étant plus ce qu’elle était, ne pourrait pas tenter une aventure militaire directe, en particulier contre la Russie et la Chine, d’où le recours aux déstabilisations internes, comme c’est le cas en Iran considéré comme la proie la plus accessible parmi les trois pays cités ci-dessus.
L’arme financière américaine a déjà frappé l’Iran en 2012, quand Washington a bloqué des avoirs, de 32 milliards de dollars, des banques iraniennes provoquant une inflation massive dans le pays qui a conduit à l’effondrement de la monnaie nationale.

Qu’en est-il pour la Chine et la Russie ?

La Chine qui considère que les États-Unis essayent de régler leur crise en récupérant la richesse des autres pays, en particulier la sienne vu sa taille, est certainement, avec la Russie, la clé de la future architecture financière hors dollar.

En effet… Et c’est là que résiderait le nœud de sa stratégie, quelques années avant que le yuan ne devienne une monnaie de réserve majeure, la Chine avec ses partenaires veut rattacher le pétrole, dont l’Iran est son principal fournisseur, et toutes les marchandises à l’or, comme cela existait avant le 15 août 1971. Pour cela, le Shanghai International Energy Exchange (INE) a déjà effectué quatre tests d’environnement de production pour les contrats à terme sur le pétrole brut. Ce dernier sera convertible en or physique sur les marchés aurifères de Shanghai ou de Hong Kong. À plus long terme, le pétrole devenant directement lié à l’or plutôt qu’au dollar, il sera possible de réévaluer le prix du métal par rapport à la monnaie américaine, et c’est là où se trouve la clé de changement de système.

Jusqu’ici, la politique de la Chine, qui possède la plus grande partie des bons du Trésor américains, a été d’éviter de provoquer une perturbation de la sphère dollar, préférant ne pas risquer la dislocation du commerce mondial, ce qui pourrait facilement se produire s’il y avait une perte de confiance substantielle dans la monnaie américaine. Mais la belligérance américaine envers elle, liée à certains égards à la Corée du Nord, pourrait être le déclencheur.
Entre les menaces contre les Corée du Nord et l’ingérence en Iran, les États-Unis ne semblent pas vouloir abandonner leur politique. Pékin et Moscou continuent à garder leurs sang-froid, en espérant que Washington ne les pousse pas à mettre sur le marché financier mondial ce qu’ils possèdent comme dollars et bons du Trésor américains, ce qui porterait le coup de grâce à la monnaie américaine. C’est à cette éventualité que Guerman Gref, le PDG de la plus grande banque commerciale de Russie, la Sberbank, dans un entretien accordé au Financial Times, a fait allusion en déclarant que :

« tout nouveau durcissement des sanctions antirusses, y compris l’exclusion potentielle des banques et des entreprises russes du système de paiement SWIFT [le réseau mondial de services de messagerie financière sécurisés, ndlr] aurait un effet tellement dévastateur qu’il ferait passer la guerre froide pour un jeu d’enfant ».

En effet, le Trésor américain devrait présenter son rapport sur de nouvelles sanctions contre la Russie au Congrès dès février 2018, souligne le Financial Times, bien qu’elles soient extrêmement dommageables pour son allié qu’est l’Europe, qui suivrait probablement la logique américaine.
De son côté, lors du sommet des BRICS en septembre 2017, Vladimir Poutine a insisté sur «les inquiétudes des pays des BRICS par rapport à l’injustice de l’architecture financière et économique mondiale qui ne peut pas tenir dûment compte du poids croissant des économies émergentes», tout en soulignant la nécessité de «surmonter la domination excessive d’un nombre limité de monnaies de réserve».

Qu’apportera l’évolution future de la situation ?

D’importants pays commencent à rejoindre la dynamique de dédollarisation. Le Venezuela, possédant les premières réserves mondiales de pétrole et allié de l’Iran dans l’OPEP, a enclenché la publication d’un indice des prix de l’or noir libellé en yuan. Si celui-ci est rejoint par d’autres États exportateurs d’or noir comme l’Arabie saoudite, on verrait certainement un déplacement du système pétrodollar vers le yuan.

La Chine peut accélérer le processus en passant à l’échange de biens exclusivement en yuan, déclassant ainsi complètement le dollar comme premier moyen de transaction. Avec la Russie, elles seraient rejointes par l’Iran, qui d’ailleurs aspire à rentrer dans l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), en plus des autres pays des BRICS (Brésil, Inde, Afrique du Sud), ce qui permettra ainsi de constituer un bloc de plus de 43% de la population mondiale.

C’est la perspective de voir se constituer le bloc, cité ci-dessus, échappant complétement à la sphère dollar qui aurait probablement inspiré Washington à développer une rhétorique, à l’égard de l’Iran, qui ressemble à bien des égards à celle qui a justifié l’intervention américaine en Irak. Comme le montrent bien les allégations que Nikki Haley a lancées contre Téhéran à l’Onu, l’accusant d’avoir fourni les missiles aux rebelles houthis chiites du Yémen, utilisés par ces derniers pour cibler la capitale saoudienne, Riyad. Ces allégations ont été catégoriquement rejetées par les autorités iraniennes, niant toute implication dans la fourniture de ces armes, en réaffirmant que le rôle de leur pays était positif dans la région, et que la porte du dialogue et de la diplomatie était résolument ouverte. Espérons que cette voix sera écoutée, afin qu’un nouveau drame soit évité.
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Source : Sputnik.fr