Le rapport annuel des administrateurs de la sécurité sociale américaine vient de sortir. Il révèle que sur les 12 derniers mois, son déficit s’est élevé à 9 trillions de dollars, un montant gigantesque. Ses engagements non provisionnés s’élèvent désormais à 43 trillions de dollars, contre 32 l’année dernière.

Bizarrement, personne n’en parle. Ai-je loupé un tweet du président ? Je ne pense pas. La presse ? Avez-vous vu un article expliquant que le déficit de la sécurité sociale est 11 fois plus élevé que le déficit du gouvernement fédéral ? Non.

La presse couvre la dette fédérale « officielle » qui figure dans sa comptabilité, mais elle ignore la dette non officielle, hors comptabilité. C’est le Congrès qui décide ce qui est intégré dans la comptabilité officielle et officieuse. Mais, au final, c’est la même chose. En ce qui concerne l’économie, la presse choisit trop fréquemment de croire ce qu’on lui dit.

Et quid de la constellation de démocrates qui sont candidats à la présidence ? La sécurité sociale est leur fierté. Réfléchissent-ils aux conséquences massives sur la dette ? Ils n’ont absolument rien dit à ce sujet.

Mais le secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin a bien dû dire quelque chose à ce sujet vu qu’il fait partie des administrateurs et qu’il a signé le rapport. Eh bien non.

Les engagements non provisionnés sont le chiffre le plus important et le plus effrayant de ce rapport. Le secrétaire au Trésor et ses chers collègues ont bien omis de l’évoquer dans leur introduction récapitulative. Pour la même raison qu’ils l’ont mentionné à la fin du rapport. Il s’agit d’une bombe politique.

Cela signifie simplement que les promesses ont été faites aux personnes âgées ne seront pas tenues. Cela signifie aussi que pour les jeunes, cela pourrait correspondre à 43 trillions d’impôts supplémentaires sans aucune contrepartie.

Le secrétaire au Trésor américain est un banquier de formation, il s’y connaît en termes de bilan. Les engagements non provisionnés en disent long sur l’état de la sécurité sociale.

À droite, on retrouve les engagements de la sécurité sociale, son passif, sur base de leur valeur actuelle. Il s’agit des paiements des retraités actuels et futurs. À gauche, nous avons les actifs de la sécurité sociale. Soit la valeur du portefeuille de la caisse (un maigre 3 trillions de dollars) ainsi que la valeur actuelle des rentrées fiscales (130 trillions de dollars) engendrées par les travailleurs actuels et futurs.

Un bilan est censé s’équilibrer, d’où le terme balance sheet en anglais. Quand ce n’est pas le cas, cela signifie que l’entité est en faillite. Lorsque le passif hors bilan d’Enron fut révélé, la société tomba immédiatement en faillite, car le passif était bien plus important que l’actif.

Lorsque les actifs de Lehman Brothers furent réévalués à presque zéro suite à la panique financière de 2008, l’institution fut contrainte de fermer ses portes. Il n’en va pas autrement avec la sécurité sociale. Ses engagements dépassent de 43 trillions de dollars ses actifs.

Le système est complètement ruiné. En raison de la modification des chiffres projetés, il est encore plus dans le rouge d’une moitié de PIB annuel.

La sécurité sociale américaine est sous-financée de 33 % (43 trillions divisés par 130). Pour régler le souci, il faudrait augmenter immédiatement et de façon permanente les contributions à la sécurité sociale de 12,4 % sur les fiches de salaire. Ou alors il faudrait réduire les avantages octroyés par la sécurité sociale, immédiatement et de façon permanente, de 24 %.

Plus nous reportons l’échéance, plus le fardeau qui pèsera sur les jeunes générations sera lourd. Le système fiscal dans son ensemble n’est-il pas en mesure de renflouer la sécurité sociale ? Ne pourrait-on pas lui allouer des fonds émanant des recettes fiscales ? Ce n’est malheureusement pas possible.

La dette du gouvernement fédéral n’est pas de 17 trillions, comme le dit le chiffre officiel calculé par le CBO et publié par la presse. Ce n’est d’ailleurs pas non plus les 17 trillions de cette dette officielle + les 43 trillions de la dette cachée de la sécurité sociale.

Il s’agit en fait de ces 17 trillions + 43 trillions + 179 trillions de dollars de dettes supplémentaires hors comptabilité. Autrement dit, la dette globale du système fédéral américain est de 239 trillions de dollars. (…)

Article de Laurence Kotlikoff (professeur d’économie de l’université de Boston et associé de recherche au National Bureau of Economic Research), publié le 14 mai 2019 sur TheHill.com