Bill Dudley n’est pas un inconnu. Cet ancien économiste en chef de Goldman Sachs et président de la FED de New York entre 2009 et 2018 fait partie de ceux qui estiment qu’il ne faut pas enterrer l’idée d’une inflation plus élevée. Il a expliqué pourquoi via une tribune libre publiée dans le Financial Post (titres ajoutés pour plus de clarté) :

« Beaucoup de gens pensent que l’inflation est morte aux États-Unis. Ou si elle n’est pas morte, qu’elle est en état de suspension dans un futur proche. Ces gens pourraient bientôt avoir une mauvaise surprise.

En observant les projections officielles et les prix du marché, il est difficile de craindre une inflation excessive. D’après les projections économiques de septembre de la FED, l’inflation ne dépassera pas son objectif de 2 % avant 2023. Les rendements des différents bons du Trésor suggèrent que les investisseurs s’attendent à une inflation moyenne de 1,9 % durant la décennie à venir. Et même de 1,6 % si on se base sur l’indicateur préféré de la Banque centrale américaine.

Il est indubitable que l’inflation est très basse depuis longtemps, malgré les stimulations monétaires extrêmes. Mais est-il correct de s’attendre avec tant de certitude que la tendance va se poursuivre ? Je vois plusieurs raisons qui suggèrent que l’inflation pourrait faire son retour bien plus vite qu’attendu par le consensus.

Première raison : une nouvelle base pour le calcul de l’inflation

Tout d’abord, le début de la pandémie en mars et en avril a fait baisser fortement les prix. D’environ 0,5 %, selon l’indicatif préféré de la FED (PCE, indice de la consommation des ménages qui n’inclut pas l’alimentation et l’énergie). Cela a fait baisser la lecture annuelle des chiffres de l’inflation. Mais à partir d’avril 2021, les chiffres revus à la baisse deviendront la nouvelle base de comparaison. Ce qui signifie que sur base annuelle, l’inflation mesurée va bondir.

2e raison : hausse des prix des secteurs dévastés par la pandémie

Deuxièmement, le développement de vaccins efficaces va permettre à la population de reprendre ses habitudes en termes de consommation durant la seconde moitié de l’année prochaine. Les secteurs de l’Horeca et du divertissement (restaurants, hôtels, compagnies aériennes, etc.) vont probablement se redresser alors que la demande revient. Une hausse importante des prix pourrait être nécessaire afin d’équilibrer l’offre et la demande, vu que de nombreux établissements de ces secteurs ont fermé leurs portes. Cette hausse des prix a peu de chances d’être compensée par la baisse des tarifs des prestations de ceux qui ont bénéficié de la pandémie, par exemple Netflix ou Zoom.

3e raison : une crise de l’offre

Les effets durables de la pandémie risquent de compliquer la tâche des entreprises qui feront l’objet d’une demande plus élevée. Il sera difficile de produire davantage avec les mêmes capitaux et la même main-d’œuvre disponible. Lorsque la crise prendra fin, les capitaux ne seront pas alloués de la façon la plus productive. De nombreux projets d’expansion et d’investissements ont été gelés. Il est probable que de nouvelles tendances concernant la demande émergeront après la pandémie. De plus, de nombreux travailleurs ont quitté les secteurs les plus touchés. Il sera difficile pour les entreprises d’augmenter leurs capacités. Certaines entreprises, notamment des restaurants, ont tout simplement disparu. Ce qui réduira la capacité disponible pour faire face au retour de la demande.

4e raison : une volonté de la FED

La FED a revu sa politique monétaire à long terme afin de tolérer davantage d’inflation. Auparavant, l’objectif était d’atteindre 2 %, peu importe la durée durant laquelle l’inflation fut inférieure à cet objectif. Désormais, la FED veut obtenir une inflation moyenne de 2 %. Ce qui signifie que l’on devra être au-delà de ce chiffre pendant une période prolongée afin de compenser des années d’inflation inférieure à 2 %.

La banque centrale a notamment dit de façon spécifique qu’elle ne relèvera pas les taux courts tant que le taux de chômage n’aura pas baissé jusqu’à son niveau optimal. Cela signifie que la FED ne réagira pas tant qu’elle estime que l’inflation ne présente pas un risque à la fois persistant et conséquent.

5e raison : l’interventionnisme de l’État

Enfin, le gouvernement est plus susceptible que par le passé de soutenir l’économie en dépensant. L’orthodoxie fiscale est une doctrine révolue. Au lieu de s’inquiéter du fardeau de la dette fédérale qui augmente, des économistes soutiennent désormais des actions agressives afin de compenser la baisse de la demande. De ce fait, le gouvernement ne voudra donc probablement pas réduire les stimulations fiscales aussi vite qu’il l’avait fait après la crise financière de 2008. Une décision qui avait engendré une reprise dont la lenteur avait déçu. Cela dit, l’administration Biden pourrait ne pas être en mesure d’agir comme elle l’entend si les républicains conservent le contrôle du Sénat.

Conclusion

Cela dit, l’inflation pourrait être un grand danger justement parce qu’elle n’est plus perçue en tant que tel. Les décideurs veulent la faire grimper. La plupart des ménages et les entreprises ne la considèrent pas comme un risque. Lorsque la pandémie se dissipera, les risques ne seront plus uniquement à la baisse. Et vu la façon dont les marchés financiers considèrent une inflation basse et des taux planchers comme un acquis, et vu la façon dont ces attentes fournissent un support aux obligations et aux actions, une mauvaise surprise sur ce front pourrait faire des dégâts.