« Malgré l’absence de preuves empiriques, les gouverneurs et les analystes de la FED persistent à se focaliser sur la courbe de Phillips. Elle affirme qu’un taux de chômage bas génère de l’inflation. Le chômage aux États-Unis est d’environ 4 % en ce moment, à un plus bas de 17 ans.

La FED insiste qu’elle doit serrer la vis maintenant afin d’empêcher l’émergence de l’inflation. Comme je l’ai dit à de maintes reprises, la courbe de Phillips n’est pas validée par les faits. Les années 60 furent caractérisées par un bas taux de chômage et une inflation élevée. Dans les années 2010, l’inflation fut basse ainsi que le chômage.

Il n’y a pas de corrélation entre l’inflation et l’emploi, tout comme il n’y a pas de corrélation entre la masse monétaire et l’inflation. L’inflation a toujours été, et sera, un phénomène psychologique. Lorsque les gens perdent confiance en une monnaie, la vélocité fait le reste. Personne ne souhaite posséder une devise qui perd rapidement sa valeur.

L’autre raison ostensible concernant le resserrement de la FED est sa confiance officielle dans l’économie américaine, qui serait dans une solide phase de croissance. Tout comme avec la courbe de Phillips, rien ne permet d’étayer ces propos.

Le taux d’épargne a plongé à 2,1 % fin 2017, bien loin des 6,3 % que nous avons connus entre 1970 et 2000. L’impact global de la réforme fiscale de Trump, l’annulation multipartite du plafond des dépenses discrétionnaires et la hausse des défauts sur les crédits étudiants pousseront le déficit annuel américain bien au-delà du trillion de dollars pour de nombreuses années à venir.

Cela signifie que les États-Unis doivent soit réduire les investissements, soit emprunter à l’étranger. Ces 2 options sont mauvaises pour la croissance. Les autres vents contraires incluent la guerre commerciale initiée par Trump, les obstacles à l’immigration ainsi que les taux réels en hausse alors que le Trésor tente d’attirer des acheteurs pour les 10 trillions de dollars de nouvelles dettes qu’il devra vendre dans la décennie à venir.

Ces vents contraires spécifiques récents s’ajoutent à la stagnation séculaire préexistante en raison des tendances démographiques, du désendettement et de la productivité en baisse.

La FED est consciente de ces entraves à la croissance. Elle ne peut néanmoins pas s’écarter de ces scénarios optimistes. Mais on est tout de même en droit de se demander pourquoi la FED serre la vis alors que l’économie est si faible. Je vais répéter une fois de plus la réponse : la FED se prépare à la prochaine crise.

L’expérience montre clairement qu’il faut de 3 à 4 % de baisse des taux pour sortir l’économie américaine d’une récession. La FED ne pourra même pas baisser son taux directeur de 3 % s’il se trouve à moins de 2 %.

La Federal Reserve est donc engagée dans une course désespérée : elle doit relever ses taux avant la prochaine récession afin de disposer d’un antidote. Mais quid de la réduction de la taille du bilan ?

L’ayant fait gonfler jusqu’à 4,5 trillions de dollars durant la dernière crise, la FED doit lâcher du lest afin de pouvoir grimper à nouveau jusqu’à ce chiffre en cas de nécessité d’un QE4.

Cette décision est donc un acte de précaution, au cas où la récession se matérialiserait avant que la FED n’ait relevé son taux à 3 %. Dans cette éventualité, la FED baisserait les taux aussi vite que possible jusqu’à zéro pour ensuite recourir à nouveau à l’assouplissement quantitatif. (La FED n’est pas en faveur des taux négatifs. Les expériences européennes et du Japon montrent de toute façon que cela ne marche pas.)

La FED ne dispose pas de capacités illimitées de monétisation de la dette. La limite n’est pas légale, mais psychologique. Il existe une frontière psychologique de la confiance concernant le bilan de la FED. Si elle la dépasse, elle détruira la confiance que les gens lui accordent, ainsi qu’au dollar. Ce plafond est-il de 5 trillions, de 6 trillions ? Impossible à dire. Mais lorsqu’on connaîtra la réponse, ce sera trop tard.

En conclusion : la FED serre la vis afin de pouvoir la desserrer durant la prochaine crise sans détruire la confiance dans le dollar. Le casse-tête de la FED consiste à resserrer les conditions monétaires sans provoquer la récession qu’elle se prépare à endiguer. Les possibles scénarios sont les suivants :

La double dose de resserrement monétaire via les taux et la taille du bilan de la FED ralentit l’économie, dégonfle les bulles des marchés actions et obligataires, revigore le dollar et importe de la déflation. Alors que ces tendances deviennent plus marquées, la désinflation pourrait basculer dans une déflation légère. La création d’emplois ralentirait alors que les sociétés tentent de contrôler leurs coûts. La correction sur les marchés actions débouchera sur un marché baissier, une baisse générale de 30 % par rapport au plus haut de 2018.

Toutes ces tendances seraient exacerbées par un ralentissement économique mondial en raison des guerres commerciales, des craintes concernant l’endettement américain et la baisse de l’immigration. Une récession technique s’ensuivrait. Ce ne serait pas la fin du monde, mais bien la fin de l’une des phases d’expansion les plus longues de l’histoire, ainsi que du marché haussier des actions le plus persistant.

L’autre scénario est bien plus complexe, tout en étant plus inquiétant. Dans celui-ci, la FED commet à nouveau 2 bourdes historiques. La première a eu lieu en 1928, lorsqu’elle essaya de dégonfler une bulle sur les marchés actions. La seconde eut lieu en 1937, lorsque la FED serra la vis trop vite malgré une période prolongée de faiblesse.

Jusque décembre 2017, la FED a rejeté l’idée de pouvoir identifier et dégonfler les bulles. Cette politique a été décidée sur base de l’expérience de 1929, lorsque la tentative de l’institution visant à dégonfler la bulle sur les marchés actions mena au krach d’octobre 1929 et à la Grande dépression. La FED préfère donc laisser les bulles exploser d’elles-mêmes pour ensuite réparer les dégâts.

Néanmoins, l’explosion de la bulle du crédit hypothécaire en 2007 fut bien plus dangereuse. Les politiques adoptées en guise de réponse furent bien plus radicales que la FED l’avait anticipé. Vu la fragilité persistante du système financier, la FED s’est mise à repenser sa stratégie du laisser-faire pour adopter une position plus nuancée concernant le dégonflage des bulles.

Cette nouvelle vision, qui ressemble furieusement à celle de 1928, est visible dans le compte rendu du FOMC du 1er novembre 2017. Cette nouvelle attention concernant les bulles a joué un rôle dans la décision du Comité de relever les taux le 13 décembre 2017, malgré des craintes persistantes concernant la désinflation. (…) La FED pourrait, malgré ces précautions, initier un krach boursier similaire ou pire à celui de 1929.

La seconde bourde de la FED fut un effort visant à normaliser les taux en 1937 après 8 années accommodantes en raison de la dépression. La normalisation actuelle d’aujourd’hui est quasi similaire en tout point. (…)

Lorsque la FED a tenté de normaliser sa politique en 1937, elle a déclenché une seconde récession technique sévère qui a prolongé la Grande dépression jusqu’en 1940.

Recourir à nouveau à des politiques accommodantes ne permet pas d’échapper au dilemme de la FED. Une telle politique signifierait des bulles qui gonflent à nouveau, la préparation d’un krach d’ampleur encore plus épique. Alors que la FED tente de sortir de 10 années de politiques extraordinaires, il n’y a pas d’issue positive. »

Article de Jim Rickards, publié le 12 mars 2018 sur DailyReckoning.com