Après 5 années de vigueur du dollar, l’administration Trump semble bien décidée à affaiblir sa devise via des mesures unilatérales. Les possibles conséquences ne doivent pas être sous-estimées.

L’expression « guerre des devises » évoque l’épisode effrayant des années 30 et ses dévaluations compétitives (par rapport à l’or) afin d’orienter une plus grosse part de la demande stagnante vers certains pays, aux dépens des autres. Aujourd’hui, ces craintes sont exacerbées par les perspectives des guerres commerciales.

Cependant, les problèmes monétaires que nous avons connus durant ces dernières décennies sont bien différents de ceux des années 30, au moins sous 2 aspects.

Tout d’abord, lorsque le ministre des Finances brésilien a accusé les États-Unis en 2010 de démarrer une guerre des devises, il s’agissait d’une réponse à la baisse du dollar initiée par les politiques monétaires agressives de la FED. Mais vu que ces politiques accommodantes ont probablement augmenté la demande aux États-Unis, et donc bénéficié aux importations, il n’est pas certain que cette politique a été néfaste pour les autres pays.

Deuxièmement, les autres pays n’ont pas cherché à baisser la valeur de leur monnaie en guise de représailles. Ils ont plutôt montré l’absence de volonté de voir leur monnaie s’apprécier, principalement par rapport au dollar, alors que les marchés le voulaient ainsi. En quelque sorte, ils ont arrimé la valeur de leur monnaie à celle du dollar.

En conséquence, les politiques accommodantes des États-Unis ont engendré des politiques accommodantes ailleurs. Il n’est donc pas surprenant que les déséquilibres qui étaient autrefois cantonnés aux États-Unis, à savoir la hausse du prix de l’immobilier, de l’endettement et du leverage financier, sont désormais de plus en plus courants dans certains pays d’Europe, en Chine et dans bien des pays émergents.

Enseignements de la crise asiatique

Qu’en fut-il de cette peur des fluctuations libres quand le dollar a connu une longue période de faiblesse entre 2002 et 2014 ? De nombreux pays faisaient face à des problèmes similaires à ceux des États-Unis, à savoir une demande domestique insuffisante et une inflation jugée trop basse. Il est clair que l’appréciation de leur devise n’a fait qu’exacerber ces problèmes.

De plus, le raffermissement d’une monnaie signifie une menace pour la stratégie de la croissance des exportations. Stratégie adoptée en premier par l’Allemagne et le Japon après la Seconde Guerre mondiale, ensuite par la Chine et bien d’autres pays. Un autre souci concernait la valeur des réserves en dollars. L’appréciation de sa devise fait en effet baisser mécaniquement leur valeur.

Afin de régler ces craintes concernant le taux de change, certains pays, surtout des nations émergentes, ont axé leur réponse autour des interventions sur les marchés des changes et des contrôles administratifs. D’autres, surtout des économies plus avancées, ont plus ou moins calqué leurs politiques monétaires sur celle de la FED.

Les interventions directes des marchés émergeant étaient justifiées, notamment afin de constituer des réserves en devises étrangères, soit une assurance contre les crises à venir. Ainsi que pour empêcher la surévaluation de leur devise. Il s’agit d’un enseignement de la crise financière asiatique de 1997.

Partout ailleurs, principalement en Europe et au Japon, les décideurs ont justifié leurs politiques accommodantes sans précédent par des niveaux d’inflation parfois à quelques décimales seulement de leur objectif.

Cette réponse agressive semble difficile à expliquer étant donné le caractère arbitraire de l’objectif d’inflation. Mais aussi vu que nous connaissons très peu les effets d’une inflation modérée, ou de la déflation, sur le bien-être. Ainsi qu’en raison du scepticisme grandissant concernant la capacité des banques centrales à influencer les prix domestiques dans le contexte d’une économie mondialisée. Il n’est donc pas difficile d’imaginer que les véritables raisons sont autres, notamment les taux de change.

L’abandon du discours du dollar fort de Trump

Depuis 2014, le dollar s’est mis à s’apprécier par rapport aux autres devises. Cela s’explique notamment par une croissance relativement plus élevée aux États-Unis, principalement par rapport aux autres économies avancées, et des taux d’intérêt un peu plus élevés. Les droits de douane implémentés par l’administration Trump, ainsi que les stimulations fiscales des baisses d’impôts de 2018, sont également d’autres raisons qui justifient la vigueur récente du dollar.

L’administration Trump a toujours été mal à l’aise par rapport au dollar fort. Elle l’a montré de plusieurs façons. Le président Trump semble avoir abandonné le discours du dollar fort, qui fut celui adopté par les administrations précédentes, qu’elles soient républicaines ou démocrates. Le Trésor américain a récemment qualifié la Chine de manipulateur des taux de change.

C’est dans ce contexte que certains économistes craignent de voir les États-Unis agir de façon unilatérale afin de baisser la valeur du dollar. Ces craintes risquent de s’intensifier si l’économie américaine menace de tomber en récession. Le Trésor pourrait annoncer son intention de recourir à l’Exchange Stabilisation Fund afin de vendre des dollars. Il pourrait également demander des politiques encore plus accommodantes dans le but de faire baisser la valeur du billet vert.

Certes, la FED « indépendante » pourrait mettre des bâtons dans les roues de cette volonté présidentielle. Mais vu les attaques incessantes et sans précédent de Trump sur la Banque centrale américaine, il n’est pas sûr que la FED puisse résister aux coups de boutoir.

Préparez-vous à un ralentissement imminent

Beaucoup d’arguments forts suggèrent qu’une telle décision unilatérale pourrait être malavisée. Tout d’abord, rien n’indique que le dollar est surévalué en ce moment. En effet, le déficit commercial en termes de pourcentage du PIB américain a baissé durant ces dernières années.

Deuxièmement, une telle décision entraînerait des représailles. L’objectif de réduire le déficit commercial pourrait donc être plus compliqué. Troisièmement, l’objectif pourrait être atteint via d’autres mesures, notamment des dépenses publiques dans des pays qui affichent un excédent commercial important.

La fin désordonnée du régime du dollar ?

Si les États-Unis devaient agir de façon unilatérale afin de baisser la valeur du dollar, et si des mesures similaires de représailles devaient être prises par les autres pays, cela bouleverserait l’ordre monétaire mondial. Les possibles conséquences ne sont pas à sous-estimer.

Cela pourrait notamment déboucher sur la fin désordonnée du régime du dollar. Celui-ci est déjà sous pression en raison de nombreux facteurs économiques et géopolitiques. Détruire un ancien régime, même s’il n’est pas optimal, sans avoir préparé une solution de remplacement pourrait être très dommageable pour le commerce et la croissance.

Pire encore, une guerre des devises implique directement les politiques monétaires, qui ne sont alors plus utilisées uniquement pour garantir la stabilité des prix. Cela ôte également les contraintes en termes d’expansion du bilan de la banque centrale.

Si ces développements devaient remettre en cause la valeur des devises officielles, surtout celles des gouvernements les plus endettés, on pourrait assister à une augmentation importante des attentes d’inflation, ensuite des taux. Il n’est pas difficile d’imaginer les conséquences sur un système ultra endetté, aussi bien du côté du public que du privé.

En bref, commencer une nouvelle guerre des devises serait une très mauvaise idée. Espérons que les décideurs de Washington le comprennent aussi.

Source : article de William R. White, publié sur The Market