Concernant sa politique de change, l’administration Trump poursuit une approche unilatérale et bilatérale, en opposition avec l’approche multilatérale de ses prédécesseurs durant les 25 dernières années.
Le secrétaire du Trésor des administrations Clinton, Bush et Obama évitait de faire des commentaires concernant les taux de change. Lorsqu’on les y poussait, ils affirmaient simplement être en faveur d’un dollar fort. Cela offrait la base morale aux administrations précédentes pour critiquer les autres, surtout le Japon, lorsqu’ils cherchaient à affaiblir leur devise. Cette base morale n’est plus là aujourd’hui.
En 2013, les États-Unis ont poussé le G7 et le G20 à adopter de nouveaux engagements monétaires. Les politiques macro-économiques devaient se baser sur des instruments domestiques visant à atteindre des objectifs domestiques. Elles ne devaient pas viser les taux de change, chercher à obtenir des dévaluations compétitives.
Aujourd’hui, le président et certains de ses conseillers tweetent en faveur d’un dollar faible. Cette position est justifiée par la posture accommodante des autres banques centrales, par exemple de la BCE, qui s’apparente à des manipulations. La transmission des politiques monétaires s’opère par plusieurs canaux (le crédit, le prix des actifs, la compression des taux et la confiance, par exemple). Les taux de change sont également un canal de transmission clé des politiques monétaires. Mais l’administration Trump est aveugle au fait que la croissance en zone euro est anémique, que l’inflation reste bien en dessous de l’objectif poursuivi. Ce qui confère à la BCE de fortes raisons internes à poursuivre ses politiques accommodantes.
La croissance américaine est supérieure à celle de l’Europe et du Japon. Les taux américains sont donc plus élevés. Les guerres commerciales et les menaces douanières américaines découragent la prise de risque, ce qui ne fait que doper la valeur du dollar. Les énormes déficits américains font également grimper le déficit du compte courant tout en augmentant les besoins en termes de flux de capitaux entrants. Si le président veut voir la valeur du dollar baisser, aider les autres à améliorer leur performance est la meilleure façon d’y arriver. Ce n’est pas en entravant la surperformance américaine qu’il y parviendra. Il doit également mettre un terme aux guerres commerciales.
Au mois d’août, alors que le taux de change yuan/dollar passait en dessous de 7 suite à la recrudescence des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, le président a ordonné au Trésor de désigner la Chine en tant que manipulateur de devise. C’était injustifié. La monnaie chinoise n’est pas manipulée, elle est encadrée. Pékin aurait pu empêcher la baisse de sa monnaie, mais cela aurait fait fondre ses réserves. La valeur de sa devise a principalement baissé parce que les participants aux marchés ont considéré que cette dépréciation pouvait gommer le déficit de compétitivité engendré par la hausse des droits de douane.
Cette désignation était même en contravention avec les critères mêmes du Trésor en la matière. L’excédent commercial de la Chine fut de 0,5 % de son PIB en 2018, ce qui n’est pas beaucoup. D’un point de vue net, la Chine a vendu peu de dollars dans ses interventions sur les marchés. C’est vrai que la Chine dispose d’un excédent commercial important avec les États-Unis, mais pour les économistes les balances bilatérales n’ont pas d’importance.
Un pays qui manipule sa devise afin de s’octroyer un avantage compétitif injuste dans le commerce international devrait acheter des dollars afin de faire baisser la valeur de sa propre devise, afficher un excédent commercial important par rapport à son PIB. Ce descriptif ne s’applique pas à la Chine. (…)
D’après certains médias, l’administration a discuté de la possibilité d’intervenir sur les marchés afin de faire baisser la valeur du dollar. Par exemple, les États-Unis pourraient acheter des euros ou des yuans.
Lorsqu’une administration américaine a agi de la sorte durant les 2 dernières décennies, ce fut en concertation avec ses partenaires du G7. Aujourd’hui, tout porte à croire que de telles interventions auront lieu de façon unilatérale. Une opération en solo sur l’euro aurait peu de chances de réussir. À moins que la FED ne soit prête à recourir de façon illimitée à la planche à billets pour acheter des euros, les ressources américaines sont fortement limitées. De plus, le marché euro/dollar est vaste. Et la BCE pourrait acheter autant de dollars que la FED est prête à en vendre.
Tout ceci est valable en cas d’intervention sur le yuan. Les autorités chinoises peuvent exercer une forte influence sur les banques qui sont actives sur ces marchés, internes et externes. (…)
Le recours unilatéral de l’administration américaine aux sanctions peut également remettre en question le statut futur du dollar. De par le passé, les administrations cherchaient à former des coalitions. S’il n’y a pas d’alternative réaliste au dollar dans un futur proche, nos alliés traditionnels ont été refroidis par l’unilatéralisme de l’administration actuelle. C’est notamment visible du côté de l’Europe, avec la création d’INSTEX, qui doit lui permettre de commercer avec l’Iran en contournant les sanctions US.
La posture de l’administration Trump par rapport au dollar, à sa politique de change et à la politique internationale en général diffère grandement des pratiques en vigueur aux États-Unis durant ces 25 dernières années. Ces politiques et ces pratiques nous éloignent de nos alliés, elles érodent le tissu multilatéral sous-jacent du système financier international.