L’Italie n’est qu’à une crise d’un défaut souverain d’ampleur mondiale. Le FMI ne peut pas se permettre de le dire ouvertement, mais c’est le message envoyé par son dernier rapport, le Fiscal Monitor.

Son ratio d’endettement va grimper de 132,1 % en 2018 à 134,4 % en 2020, et 138,5 % en 2024. Ce dernier chiffre est juste un exercice de style, les chiens de garde du marché obligataire auront pris les choses en main bien avant.

Le déficit budgétaire italien dépassera allègrement les 3 % l’année prochaine, devrait atteindre 3,7 % d’ici 2022 et approcher les 4 % vers 2025, en violation chronique du traité de Maastricht. Ces prévisions impliquent l’absence d’une récession mondiale, ou de tout autre choc.

L’Amérique n’est pas bien jolie à voir non plus. Les stimulations fiscales vaines de Trump vont pousser le ratio d’endettement américain de 105,8 à 110 % durant les 4 prochaines années. Cependant, les États-Unis ont l’avantage d’être une superpuissance qui dispose de sa propre banque centrale. Elle emprunte dans sa propre devise. L’Italie emprunte en « Deutsche Marks » qu’elle ne peut pas créer.

Lorenzo Codogno, ex-économiste en chef du Trésor italien aujourd’hui employé par une société privée, affirme que l’Italie pourrait déjà avoir franchi le point de non-retour. Nous attendons désormais les conséquences du sommet du 14 décembre, lorsque les leaders européens ont initié le dénouement final, qui a fait l’objet de très peu de commentaires dans la presse.

Spécifiquement, il a tracé la voie à la simplification de la restructuration des dettes souveraines par les créditeurs privés. Il ne prévoit pas de renflouement via le mécanisme de stabilité européen, à moins que les autorités européennes estiment qu’un tel recours soit opportun. Cette condition a été imposée par les puissances créditrices du Nord.

« Les autres pays européens se préparent à un défaut italien », a déclaré M. Codogno. Quiconque souhaite comprendre ce qui va se passer dans la zone euro devrait lire cette bombe de l’International Economy intitulée « La crise bancaire italienne à venir ».

Si Emmanuel Macron l’avait lu, il serait peut-être moins insouciant quant aux ramifications d’un Brexit sans accord, pour son propre pays ainsi que le projet européen. La zone euro est déjà en récession industrielle. Elle n’a pas de marge de manœuvre ni de défenses monétaires.

Une rupture des liens financiers et des chaînes logistiques entre les 2 côtés de la Manche est exactement le genre de choc susceptible de cristalliser ces risques. Si Monsieur Macron devait forcer une telle issue, cette semaine ou plus tard, il risque de pousser l’Italie du haut du précipice.

La leçon de 2011 est la suivante : lorsque la confiance disparaît, les écarts obligataires des pays les plus faibles de l’Union monétaire peuvent exploser d’un claquement de doigts. Cette fois, il n’y aura pas de sauveur. La BCE n’a pas le droit d’acheter de la dette italienne sans activer formellement la machinerie du Mécanisme de stabilité européen, et sans vote au Bundestag. La promesse de faire « tout ce qui est nécessaire » n’est plus valable.

La Banque de France prend ses propres précautions. Le Haut conseil de stabilité financière a relevé dans la discrétion les exigences de capitalisation contracycliques des banques à 0,5 %. C’était nécessaire.

Le système bancaire français et italien sont tels des siamois. L’exposition à l’Italie du capital CET1 de BNP Paribas est de 47 %, de 29 % pour Crédit Agricole et de 556 % pour la banque franco-belge nationalisée Dexia. Au total, les liens représentent 12 % du PIB français. L’INSEE affirme qu’un hard Brexit pourrait coûter 1,7 % de croissance. Monsieur Macron aurait alors à justifier aux gilets jaunes sa première récession.

La prime de risque sur les obligations italiennes à 10 ans est actuellement de 256 points de base. Les périodes de tensions précédentes ont placé le seuil de danger autour des 325 points. Soit lorsque la contagion atteint le Portugal et l’Espagne. Selon Rome, la partie est finie à 400 points.

Le rapport de stabilité financière du FMI comporte une section concernant « la spirale mortelle du risque bancaire/souverain », plus présente que jamais. Les banques italiennes ont accumulé pour 360 milliards de dettes de leur propre pays, soit 10 % de leurs actifs. L’Espagne et le Portugal ne sont pas loin derrière. « Les interconnexions pourraient répandre les tensions souveraines dans le système financier à travers une toile complexe d’interactions et de boucles de rétroactions négatives », peut-on y lire.

L’augmentation des écarts force les banques à passer en perte des actifs sur base de la règle du « mark to market ». Cela érode leur matelas de sécurité, ce qui les force à moins prêter. Le ralentissement économique qui accélère réduit les recettes fiscales. Les finances des gouvernements deviennent encore moins viables. Le cercle vicieux est engagé.

Le FMI estime qu’un « scénario grave » pourrait faire baisser les réserves de capital de Tier 1 de 230 points en Italie, 250 au Portugal et 220 en Espagne.

Les assureurs seraient pris dans la tempête. Ils possèdent 15 % de la dette de l’euro zone, et 25 % des obligations émises par les banques. Ils sont chargés comme des mules en dette BBB.

On peut compter sur les agences de notation pour délivrer leurs coups de grâce et précipiter le système financier dans la crise à coup d’abaissements de note.

Pourtant, M. Macron semble croire que son pays ne court aucune menace sérieuse en cas de Brexit sans accord. « La France est le pays le mieux préparé », a-t-il déclaré, à la consternation de la confédération française des PME, qui ne sait même pas quels formulaires remplir. On ne peut que supposer que M. Macron ignore tout des effets amplificateurs d’une crise financière et de confiance pour des économies qui sont déjà au seuil de la récession.

De tous les mystères de la saga du Brexit, le comportement de M. Macron est le plus étrange. Il doit savoir que la zone euro ne peut pas survivre à la prochaine crise d’ampleur, son propre ministre des Finances l’a reconnu, pourtant il adopte une posture très dure sur le Brexit, susceptible de mener à la rupture.

Il mise tout sur une alliance franco-allemande, comme s’il était possible de restaurer la parité perdue durant les années 50 lorsque l’Algérie faisait toujours partie de la France, et qu’une Allemagne scindée était gouvernée de Bonn. (…)

M. Macron souhaite faire de l’Europe une puissance militaire, mais il envenime les relations avec le seul pays occidental qui dispose de réelles forces de combat, et qui est prêt à les utiliser. Il pousse l’idéologie européenne à l’outrance alors que ses concitoyens sont tout aussi eurosceptiques que les Britanniques.

Le problème est qu’en politique comme au casino, lorsqu’on double la mise, on est susceptible de tout perdre.

Article d’Ambrose Evans-Pritchard, publié le 10 avril 2019 sur le Telegraph