Durant les décennies qui ont suivi la prise de pouvoir de Mao Tsé-Toung, il fut interdit aux Chinois d’acheter de l’or. La banque centrale, la seule habilitée à faire l’acquisition du métal précieux, l’allouait à quelques bijouteries d’État.

Il fallut attendre le début des années 2000 pour que cette interdiction soit levée, lorsque la bourse de Shanghai fut lancée, soit ce qui est devenu aujourd’hui la plus grande bourse d’échange d’or physique du monde. C’est alors que tout un chacun fut autorisé à acheter et à vendre du métal jaune. Ce commerce s’est développé. Durant la ruée vers l’or des investisseurs et des acheteurs de bijoux de 2013, les lingots stockés dans les coffres occidentaux furent transformés en lingots d’un kilo pour être expédiés vers l’Orient. Selon GFMS, société de conseil spécialisée dans les métaux précieux, ce fut « le mouvement d’or le plus important de l’histoire en termes de valeur ».

Depuis, la demande chinoise pour les bijoux en or a régulièrement surpassé celle, combinée, de l’Inde et des États-Unis. L’année dernière, elle a représenté 14 % de la demande d’or mondiale. Depuis 2007, l’empire du Milieu est le plus gros producteur de métal jaune du monde. Malgré cela, il consomme davantage de métal (1089 tonnes) qu’il n’en produit (426 tonnes). Les caisses pleines, les sociétés minières aurifères se développent dans les rues. China Gold et Shandong Gold, 2 géants du secteur et entreprises d’État, ont récemment créé un réseau de bijouteries franchisées.

Roland Wang, du World Gold Council, qui vient d’ailleurs de s’implanter en Chine, affirme que le marché de détail de l’or s’est transformé depuis la ruée. La génération qui se marie actuellement dispose de davantage de pouvoir d’achat pour acquérir des bijoux. Shenzhen, une enclave du sud où les transactions privées sur l’or étaient permises durant les années d’interdiction, reste la capitale chinoise de l’or. Mais les orfèvres de Putian, ville de la province côtière du Fujian, sont devenus une force de ce secteur sur laquelle il faut compter.

Aujourd’hui, ses bijouteries génèrent plus d’un tiers des ventes de bijoux en or aux particuliers, soit un total de 650 tonnes, selon Lin Ruoxiang, de l’Association locale des joailliers, qui compte plus de 300 membres. Pour constater l’importance de ce secteur, il suffit de circuler sur la péninsule de Putian, située de l’autre côté du détroit de Taiwan. Même si la région est connue pour 2 autres activités rentables, à savoir les survêtements de contrefaçon et les hôpitaux privés, l’or est en train de gagner les faveurs des investisseurs de la région, selon l’association.

Dans la rue principale de la ville, 20 bijouteries, dont des chaînes locales telles que Goldwharf et Luk Luk Luck, se livrent une bataille d’espace avec les publicités des magasins de téléphones portables. Il y a quelques années, on les comptait sur les doigts d’une main. Les panneaux publicitaires mettent en vedette des starlettes de la télévision taïwanaise. En février, mois du Nouvel An chinois, les ventes d’or ont été multipliées par 5 à l’occasion de la semaine fériée.

Dans des quartiers de Beigao, une municipalité quelconque de Putian d’environ 100.000 habitants, 90 % des travailleurs sont employés par le secteur de l’or, selon M. Lin. On y construit partout. Des rangées de maisons à moitié achevées semblent sortir d’un conte de fées, avec leurs colonnes et leurs motifs floraux. La maison de M. Zhang a 8 étages. À l’occasion d’un dîner de poisson, les poids lourds du marché de l’or local se rappellent des jours durant lesquels la patate douce, la culture locale, ne permettait pas de boucler les fins de mois.

Aujourd’hui, les jeunes consommateurs « trouvent tout à fait normal de dépenser plusieurs milliers de yuans pour un collier » afin d’être à la mode, a déclaré Zhang Guowang, un joaillier familial qui en est à sa 4e génération et qui est à la tête de Huachang Jewellery, l’un des leaders du marché à Putian. La marque possède plusieurs centaines de magasins disséminés aux 4 coins de la Chine. Ils poussent la modernisation du secteur. Ses parents avaient préféré le brillant de la pureté de l’or 24 carats, qui n’est pas sans rappeler celles des lingots. Vu que l’or pur est trop mou pour les bijoux trop complexes ou pour le sertissage de pierres, les bijoux massifs ont toujours été la norme, vendus au gramme. En plus d’être un bijou, il s’agissait d’un investissement vu qu’il était facile de les revendre au poids.

Mais les jeunes Chinois trouvent l’or 24 carats de mauvais goût. De nombreuses bijouteries introduisent donc des bijoux mats, ou de l’or d’un carat inférieur, ce qui leur permet d’être plus créatives (et donc d’augmenter les prix). Le plus ancien joaillier de Shanghai, Lao Feng Xiang, a un accord depuis 2016 avec Disney pour pouvoir utiliser ses personnages. Une autre bijouterie, Chenghuang Jewellery, capitalise sur l’année du cochon pour inclure cet animal dans ses créations.

En février, la municipalité de Beigao va inaugurer un parc d’activités dédié au métal jaune. Il y aura des usines, des dortoirs pour les travailleurs et une tour dorée de bureaux de 26 étages, le tout pour un investissement de 440 millions de dollars. Le but est d’attirer les entrepreneurs de Shenzhen, d’offrir un nouvel argument en plus des bas salaires qu’offre la région.

Like You, une nouvelle chaîne de bijouteries lancée par Luk Luk Luck, a des coussins en forme de flamants roses, des poufs rose pâle et des murs couverts de pétales synthétiques. Depuis le lancement de la marque l’année dernière, 8 bijouteries ont été ouvertes, notamment à Shenzhen et à Pékin. Mais selon un manager, c’est le magasin de Putian, de la capitale chinoise de l’or, qui réalise le plus gros chiffre d’affaires.

Source : The Economist