Une nouvelle question inquiétante se pose à Pékin. L’administration Trump va-t-elle abuser du pouvoir du dollar afin de faire mal à la Chine suite à sa décision d’imposer à Hong Kong de nouvelles lois spéciales de sécurité nationale ?

S’il y a peu de chances de voir la Chine bénéficier du même traitement que la Russie ou l’Iran, que le président Trump n’a pas fait mention de sanctions à l’encontre de Hong Kong ou des institutions financières chinoises, le risque d’une guerre financière, notamment son exclusion du système des paiements internationaux, n’est désormais plus de l’ordre de l’impensable pour la Chine.

Si Washington devait couper le système financier chinois et les entreprises chinoises de l’infrastructure des paiements en dollars, qui sert de socle à des systèmes tels que Swift et Chips, ce pourrait être le début d’un tsunami financier qui propulserait le système financier mondial en terra incognita, selon des responsables politiques et des analystes.

« Il s’agirait clairement d’une option nucléaire pour les États-Unis », a déclaré un haut responsable chinois qui a été briefé via des discussions internes quant à la réaction de Pékin aux éventuelles mesures prises par les États-Unis concernant les lois de sécurité nationale de Hong Kong. « Cela nuirait à la Chine, mais probablement encore plus aux États-Unis. »

Ce haut responsable, qui s’est exprimé sous le couvert de l’anonymat, a déclaré que ce scénario est considéré comme très peu probable par Pékin. Il s’agirait d’une option de la dernière chance. « Un tel acte serait plus de l’ordre d’une guerre en bonne et due forme que d’une guerre froide », a-t-il déclaré.

L’enjeu ne pourrait pas être plus élevé vu qu’une telle décision pourrait bouleverser le paysage économique mondial pour de nombreuses années à venir.

Tout comme presque toutes les autres nations de la planète, la Chine compte sur le dollar en tant que méthode de paiement pour la plupart de ses échanges internationaux, ses activités d’investissement et de financement. Les institutions financières de Hong Kong servent régulièrement d’intermédiaires.

L’utilisation du dollar par la Chine a permis à l’Amérique de maintenir le « privilège exorbitant » de sa devise. C’est à Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances de la France de 1965, que l’on doit ce terme.

L’opinion qu’a Pékin du dollar est complexe. D’un côté, la Chine possède les plus vastes réserves de devises du monde, et la moitié de celles-ci sont en dollars. Pékin considère également le billet vert comme un actif stratégique. Les Chinois peuvent échanger du yuan contre du dollar dans le cadre d’un plafond annuel de 50.000 $. Pékin surveille d’un œil méfiant les sociétés chinoises qui parquent du dollar à l’étranger.

De l’autre côté, Pékin ne lésine pas sur ses efforts depuis une décennie pour miner la puissance du dollar. En 2009, le gouverneur de l’époque de la Banque centrale chinoise avait proposé la création d’une nouvelle devise supranationale pour remplacer le dollar.

La Chine promeut l’utilisation du yuan pour les échanges commerciaux internationaux, a créé à Shanghai des contrats à terme sur le pétrole en yuans, a développé un système de paiement international pour sa devise, signé des douzaines d’accords de swaps et créé sa propre banque multilatérale.

Ces efforts ont été, jusqu’à présent, des succès limités. Le dollar reste la devise de choix des traders, des investisseurs et des banques centrales de la planète.

L’utilisation du yuan à l’international reste limitée par rapport à celle du dollar. Les derniers chiffres de Swift montrent que le yuan ne représente que 1,66 % des paiements internationaux, contre 43 % pour le dollar. De plus, plus de 70 % de l’utilisation internationale du yuan a lieu à Hong Kong, qui dispose d’une devise et d’un système financier distinct de celui de la Chine.

Vu que la valeur du dollar de Hong Kong est arrimée à la valeur du dollar américain et qu’il est librement convertible en n’importe quelle devise, il sert à la Chine de porte d’accès aux capitaux internationaux.

Aujourd’hui, des inquiétudes grimpent quant à la volonté des États-Unis d’affaiblir ou de rompre ces liens. Cela priverait la Chine de cet accès aux capitaux internationaux tout en minant le statut de centre financier international de Hong Kong. Cela ferait également du tort au dollar.

Les États-Unis ont déjà imposé de par le passé des sanctions financières à des sociétés chinoises et à des banques. Zhuhai Zhenhua, une société pétrolière chinoise d’État, a été punie pour avoir enfreint les sanctions américaines contre l’Iran. De son côté, Bank of Kunlun a été exclue du système financier américain. Il s’agit néanmoins de sanctions ciblées qui n’ont pas de conséquences plus larges.

Francis Lui Ting-ming, professeur à l’université des sciences de Hong Kong, estime que l’exclusion de la Chine du système des paiements en dollars engendrerait un retour de bâton. Selon lui, Washington a besoin de Pékin pour acheter sa dette, toujours plus importante.

La Chine possède pour 1,1 trillion d’obligations américaines, soit environ 4,4 % de la dette nationale US, d’après les dernières statistiques du Trésor.

Si les USA devaient prendre une telle décision, Pékin accélérerait l’internationalisation du yuan et ses efforts pour créer une monnaie internationale qui ne dépendrait pas de la devise américaine.

« Les États-Unis peuvent intimider des pays comme l’Iran et le Venezuela qui ne disposent pas d’une puissance politique et financière adéquate. Mais le poids de la Chine et de sa devise est trop important. Les États-Unis n’osent donc pas prendre des mesures aussi extrêmes », a-t-il déclaré.

Le mécontentement de la Chine à propos du dollar n’est pas neuf. L’ancien Premier ministre chinois, Wen Jiabao, avait déclaré en mars 2009 qu’il était un peu inquiet à propos de la sécurité du portefeuille d’obligations US de son pays après le début du premier QE de la FED.

La reprise des assouplissements quantitatifs de la FED en 2020 afin de soutenir l’économie américaine a de nouveau fait froncer les sourcils en Chine.

Huang Qifan, ancien maire de la ville majeure de Chongqing, a déclaré en mai que les États-Unis « ne devraient pas émettre incessamment de la dette ou procéder à des assouplissements quantitatifs illimités » en raison du risque posé pour le dollar.

La dette américaine est désormais de plus de 25 trillions, alors qu’elle était à 22 trillions à la fin de l’année dernière.

La FED achète à tour de bras des bons du Trésor, des MBS et même des obligations d’entreprise afin de soutenir l’économie locale. Elle a également ouvert de nouvelles lignes de crédit pour les banques centrales pour combattre une pénurie de billets verts sur les marchés financiers internationaux, notamment celui de Hong Kong.

Selon Huang, ces mesures ont été conçues « pour satisfaire la politique américaine du court terme, et le cycle électoral ». Les États-Unis franchiront le point de non-retour lorsque la dette fédérale atteindra 150 % de son PIB. C’est à ce moment-là que le dollar commencera à souffrir, selon lui.

« Si la dette grimpe jusqu’à 150 %, ce sera certainement l’implosion économique… Le dollar perdrait son statut et sa cote de crédit », a-t-il ajouté.

Les chercheurs chinois préconisent l’accélération des efforts du pays pour couper sa dépendance au dollar. Li Yang, chercheur de l’Académie chinoise des sciences sociales qui est consulté par la banque centrale, a déclaré durant un forum en ligne en mai que la Chine doit accélérer l’internationalisation du yuan, ainsi qu’utiliser son pouvoir économique pour promouvoir sa devise à l’étranger.

Si le dollar reste la devise de référence du système monétaire international, sa domination faiblit petit à petit.

À la fin de l’année 2019, les réserves internationales en dollars sont passées à 60,8 %, alors que ce chiffre était de 66 % en 2015. Fin 2014, le dollar représentait 58 % des réserves de change chinoises. En 2005, ce chiffre était de 79 %.

Cao Yuanzheng, chercheur de la Bank of China International, estime que tout effort américain pour isoler la Chine du système de paiement en dollars pourrait accélérer la formation d’un nouvel ordre monétaire international en remplacement de celui qui fut créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

« Nous allons voir quel nouveau système monétaire international va émerger dans les 20 à 30 années à venir », a-t-il déclaré.

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