Le dollar traverse une sale période, la pire de ces 14 dernières années. Cependant, si l’un des points de l’agenda politique de Trump devait se concrétiser, on assistera à des conséquences énormes sur le dollar, et donc par ricochet sur l’or et les autres classes d’actifs. D’où cet avertissement d’Ambrose Evans Richard (source The Telegraph, sous-titres ajoutés) :

« Donald Trump est en appétit. Il sait que les sociétés américaines ont parqué des trillions de dollars à l’étranger pour constituer les plus grosses réserves de liquidités de la planète.

Apple a un trésor de guerre de 257 milliards de dollars à l’étranger, à l’abri de l’IRS, le fisc américain. Chez Google, cette manne s’élève à 126 milliards, à 84 milliards pour Microsoft, à 68 milliards pour Cisco et à 59 milliards pour Oracle. L’US Bureau of Economic Analysis estime que les montants des bénéfices non-distribués parqués à l’étranger ont gonflé jusqu’à 4 trillions de dollars.

Le président est déterminé à mettre la main sur cet argent, ou du moins à l’aiguiller vers l’économie américaine. Les derniers briefings de Washington indiquent que la Maison Blanche est en train de préparer des actions « obligatoires » dans le cadre de sa réforme fiscale, en rupture avec les dernières tentatives visant à encourager le rapatriement volontaire de ces fonds via des incitants fiscaux.

Si Monsieur Trump réussit, ces capitaux rapatriés auront un impact volcanique sur le dollar, Wall Street et le système financier mondial. Il y aura des grands gagnants, mais aussi des grands perdants.

taux d'imposition des entreprises dans le mondeLes sociétés américaines parquent de l’argent à l’étranger parce que la fiscalité américaine sur les entreprises est la plus élevée du monde. Elle peut atteindre 39 % dans certains États. Leurs filiales à l’étranger payent des impôts moins élevés, parfois très bas, notamment Apple en Irlande. Ces bénéfices ne sont taxés aux États-Unis que s’ils sont rapatriés.

De grandes quantités d’argent en devises étrangères

John Shin de Bank of America affirme qu’une partie importante de cet argent n’est pas en dollars. Il faudrait donc convertir ces fonds sur le marché des changes. Lorsque cela a eu lieu suite à l’implémentation de la mesure d’exemption fiscale de 2005, le dollar index grimpa de 15 % en 12 mois, ce qui inversa la tendance séculaire de baisse du dollar. Et vu qu’aujourd’hui les montants concernés sont bien plus importants…

L’examen de 300 sociétés par M. Shin montre que la moitié de ces entreprises ont conservé au moins 80 % de leurs fonds parqués à l’étranger en devises étrangères, un chiffre incroyablement élevé. Le service de recherche du Congrès estime quant à lui que 46 % de ces montants sont libellés en dollars.

Les géants de la technologie possèdent sans aucun doute davantage de dollars mais les conséquences sont claires : nous pourrions assister à une ruée sur le billet vert, quoi que dise Trump sur les vertus d’un dollar faible. Il serait dépassé par les conséquences de sa propre politique. (…)

M. Shin a également découvert que la plupart des sociétés n’ont aucune intention d’investir les fonds rapatriés dans l’économie réelle, au risque de décevoir M. Trump, mais plutôt de « rembourser leur dette » (65 %), « racheter leurs actions » (46 %) ou « investir dans des fusions et acquisitions » (42 %).

Il est bon de réfléchir à ces informations. Ce flot de 4 trillions de dollars déboucherait sur la raréfaction des émissions obligataires corporate ainsi qu’une hausse explosive des actions similaires à l’explosion de la bulle Internet de 1999. En temps normal, il serait sage d’être prudent alors que nous sommes vers la fin du cycle économique en cours, mais les politiques de l’administration Trump rendent le dénouement de ce cycle follement binaire.

Ce serait encore plus cruel pour ceux qui sont positionnés du mauvais côté du manche en ce qui concerne le dollar. David Bloom de HSBC affirme que le rapatriement pourrait avoir des effets sismiques même si cet argent était déjà en dollars à l’étranger. Le redéployer aux États-Unis pour poursuivre d’autres desseins déboucherait sur un assèchement des liquidités en dollars sur les marchés mondiaux, ce qui étranglerait l’apport en oxygène du crédit d’entreprise en Asie, en Amérique latine et chez les émergents. Plus les volumes seront élevés, plus les risques de répéter les remous qu’ont connus les émergents en 2013 après le « taper tantrum » sont aussi élevés.

Pire encore, cela pourrait s’ajouter aux effets du quantitative tightening (resserrement quantitatif) de la FED qui souhaite réduire la taille de son bilan de 4,4 trillions, ce qui assécherait davantage les liquidités disponibles en dollars. Il ne faut pas non plus perdre de vue que le Trésor américain doit réalimenter ses caisses de presque zéro à un objectif de 500 milliards de dollars lorsque le plafond de la dette sera relevé durant l’automne. Il s’agit également d’une forme de resserrement monétaire.

Tous les éléments potentiels sont réunis pour créer une tempête parfaite pour le dollar, un ouragan Harvey sur le marché des changes qui se propagerait dans un système financier mondial qui n’a jamais été autant endetté en dollars. Pourtant, les opérateurs FX et les hedge funds sont majoritairement positionnés pour l’inverse. Ils ont balayé la possibilité de toute action significative en 2017 de la part de la Maison-Blanche en ce qui concerne la réforme fiscale. Ils parient sur une chute lente et continue du « dollar de Trump ».

Nomura s’attend à voir l’euro atteindre 1,4 $ durant ce cycle, estimant qu’après avoir été à la fête, le dollar va désormais aller de mal en pis. Le dollar fort d’Obama a atteint son pic en 2015, désormais une tendance baissière de plusieurs années est en cours.

Didier Saint-Georges de Carmignac entrevoit la fin de l’hégémonie américaine alors que Trump laisse s’échapper le leadership américain. « Le dollar est menacé. Nous assistons à quelque chose sans précédent : la convergence de facteurs économiques et politiques qui remettent fortement question le statut du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale numéro 1 », a-t-il écrit.

Je pense tout le contraire. Selon moi, l’épisode Trump n’est qu’une brève anomalie, comme la présidence de Jackson dans les années 1830, qui n’aura aucune conséquence sur les perspectives américaines à long terme. Les États-Unis restent la superpuissance scientifique. Il n’y a pas de concurrence : l’Europe est en déclin démographique, la Chine n’est pas parvenue à se réformer sous Xi Jinping si bien que le pays pourrait connaître une croissance de 2 % au début des années 2020.

Inutile de préciser qu’il faudra d’abord traverser septembre et octobre. La possibilité d’une fermeture des services publics en raison de Républicains querelleurs n’est pas à exclure. (…)

Trump pourrait si mal gérer les relations avec la Chine sur le dossier coréen qu’une guerre commerciale pourrait se déclarer. Il y a beaucoup de points d’interrogation, mais partons du principe qu’aucune de ces idioties n’aura lieu.

Malgré tout le ramdam, les 6 grands leaders du Congrès travaillent avec le Trésor américain et la Maison Blanche afin de créer une réforme fiscale globale. Des ébauches circuleront dans les semaines à venir. La rédaction du brouillon a été confiée à des comités de la Chambre des représentants et du Sénat. M. Trump a retenu les leçons de la débâcle d’Obamacare. (…)

D’ici novembre, les marchés auront peut-être oublié les drames trumpiens pour se concentrer sur un tout autre scénario : une baisse de la fiscalité fédérale sur les entreprises de 35 à 20 %, ou quelque chose comme ça, et une baisse générale de l’impôt sur le revenu. Trump est déjà en campagne pour pousser cette réforme.

« Si nous voulons poursuivre sur notre élan et permettre à l’économie de véritablement décoller comme elle le devrait, il est crucial de réduire le fardeau fiscal qui pèse sur nos sociétés et nos travailleurs. Il s’agit bien plus d’une réforme fiscale, il s’agit d’un plan de baisse des impôts », a-t-il déclaré cette semaine.

Il a également besoin d’une victoire facile. S’il obtient ce qu’il veut, ou quelque chose qui s’en rapproche, les effets stimulants doperont une économie américaine qui souffre déjà d’une pénurie de main-d’œuvre et qui approche ses limites de capacité. La FED devra appuyer fortement sur le frein monétaire. Le système financier international sera fortement secoué sur son axe du dollar. Snobez Trump à vos risques et périls.